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ment traduites par Mlle du Puget : « Hélas ! dans notre Nord, le printemps a des flocons de neige dans les cheveux. » La poésie aussi, par malheur. — La légende, la rêverie, le vague, suffisent-ils désormais à l’inspiration, à une inspiration durable ? Ce breuvage mielleux et adouci est-il toujours sain ? Fortifie-t-il véritablement l’ame ? Ne l’énerve-t-il pas au contraire ? Mais c’est faire, dira-t-on, la critique de toute une école, c’est nier un côté de l’art. Mon Dieu, je ne conteste pas qu’il y ait là de la poésie. Elle y abonde, mais elle n’est pas fixée sous une forme ferme et par conséquent, immortelle. La pensée n’est pas arrêtée nettement sous les mots par le génie de l’expression. C’est là le vice capital de toute la littérature moderne du Nord : une lyre harmonieuse, touchante, mais qui n’a qu’une corde.

Le genre une fois adopté, on ne peut nier que Tegner ne soit un suave écrivain, plein de rêverie. On retrouve pourtant encore dans sa manière quelques traces égarées du XVIIIe siècle. La littérature française a exercé une si grande influence alors, qu’elle a laissé partout ses formes empreintes. Les efforts de l’art renouvelé ne sont pas encore parvenus à les couvrir, à les faire disparaître entièrement. Ainsi il y a telle image de Tegner qui sent son Dorat. Seulement, au lieu de ces Amours que Boucher savait si coquettement peindre, ce sont de petits génies d’hiver, aux joues fraîches, souriant sous leur fourrure.

Mlle du Puget a parfaitement réussi dans sa traduction de l’auteur d’Axel. Quelque chose de la grace de l’original est certainement demeuré dans sa prose facile et mélodieuse. On ne saurait trop encourager ces sortes d’essais. Les langues du Nord n’ont pas donné assez de chefs-d’œuvre, elles n’appartiennent pas à des littératures assez éminentes pour devenir jamais populaires, pour qu’il convienne de les apprendre, à moins qu’elles ne se rencontrent sur la route même des études qu’on a à poursuivre. Les interprétations sont donc là plus utiles, plus nécessaires qu’ailleurs. Il serait à désirer que le succès vînt aider Mlle du Puget. Le premier volume des Œuvres d’André Fryxell[1], qu’elle a publié l’année dernière, semble devoir rester incomplet. Cette lacune serait vraiment déplorable. C’est le commencement d’une histoire de Gustave-Adolphe, pleine d’intérêt et de vues nouvelles. Le grand drame de la guerre de trente ans s’ouvre à peine, quand le tome s’achève, et on est tristement arrêté dans la lecture. Je regrette que Mlle du Puget n’ait pas songé à nous faire connaître Fryxell et ses travaux par quelque notice étendue. Le nom de cet historien est peu connu en France, et il eût été curieux de nous initier à sa biographie et à son œuvre.

Ces études diverses, ces traductions, dont la poursuite serait si désirable, contribuent à nous faire mieux connaître, dans tous ses développemens, la culture septentrionale. Les travaux de M. Marmier y ont aidé aussi, comme on suppose, et pour la meilleure, pour la plus active part. L’Histoire de la

  1. Un vol. in-8o, chez l’éditeur, rue Saint-Lazare, 66.