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du boulevart, d’abord parce qu’on les a reproduits jusqu’à satiété, ensuite parce que tous ces perfectionnemens puérils qu’on y ajoute ne servent qu’à en faire ressortir le ridicule. On dirait que depuis dix ans l’Opéra ne s’occupe que du soin de perfectionner la mise en scène et le caractère de son enfer, et que les directeurs à qui les destinées d’un art sérieux pourtant, l’art de Weber et de Rossini, sont commises, n’ont d’autre affaire en tête que de transformer le vieux diable de Psyché en un Satan convenable, régulier et catholique. Que d’expériences n’a-t-on pas faites à ce sujet sur ce digne M. Montjoie ! D’abord on l’affubla d’une épaisse cuirasse d’écailles d’or, puis on lui donna des cornes ; tels furent, s’il nous en souvient, les résultats de la première révolution. Cependant ces cornes étaient droites ; des cornes droites à Belzébuth, quelle hérésie ! On les courba à la manière des béliers ; on y ajouta même une paire d’excellentes ailes de feutre noir, nouvelle période ; enfin, pour réforme suprême, on vient de les dorer. Qu’est-ce que l’art peut demander de plus ? On a doré les cornes de M. Montjoie. — Puisque nous sommes en train de rendre à Cazotte ce qui lui appartient, disons que M. Scribe lui doit l’intermède tout entier du cloître et des nonnes dans Robert-le Diable, sans en excepter cette belle scène où Robert croit reconnaître l’image de sa mère dans la statue couchée sur le sépulcre qu’il va profaner pour cueillir le rameau magique. La manière dont Biondetta se révèle à don Alvar rappelle aussi une scène de Faust, avec cette différence toutefois, qu’il s’agit ici d’un petit épagneul dont l’allure vive et gracieuse laisse deviner la gentille espiégle qu’il dérobe, d’un de ces jolis épagneuls de Charles Ier, à dorloter dans le manchon d’une marquise, tandis que le chien du docteur Faust est un barbet noir et fâcheux. Étrange rapprochement ! À coup sûr, Goethe n’aura pas imité le bonhomme Cazotte. Voici, je crois, tout le secret de la chose. Cazotte aime les chiens et ne trouve rien de plus élégant pour son joli lutin « qu’un épagneul blanc, à soies fines et brillantes, les oreilles traînantes jusqu’à terre, et qui tourne en remuant la queue et faisant des courbettes. » Goethe les a en aversion et met son Méphistophélès dans le ventre d’un barbet. À ce point de vue, la rencontre n’est-elle pas curieuse ?

Si par hasard on a quelques inquiétudes sur ce fils de famille en veste de velours, en perruque frisée, qui boit le vin de Chypre dans des coupes d’or, sème les billets de banque chez les courtisanes et finit par se ruiner au jeu sur un air de Meyerbeer, puis, dans son désespoir, évoque Lucifer selon d’infaillibles formules écrites en lettres rouges sur un parchemin noir, et se donne à lui pour arranger ses affaires ; si par hasard on s’informe de ce bel étudiant qui, sous les traits de M. Mazillier, fascine depuis dix ans toutes les femmes, princesses, bourgeoises, comédiennes et paysannes, nous dirons qu’on le trouvera dans le ballet nouveau. C’est bien lui, nous avons reconnu l’appartement où s’élucubrent d’ordinaire les conjurations, cette antique salle ténébreuse aux fenêtres en ogives, aux murs bariolés de toute sorte d’images fantastiques, où le diable ne manque jamais d’être représenté dans l’appareil sous lequel il va se produire, et tenant à la main une énorme pancarte où se lit quelque devise sacramentelle : Sois à moi, à toi toutes les pompes de la terre, par exemple, tout cela pour la plus grande intelligence du drame qui se joue. Nous avons reconnu aussi le fameux grimoire qu’on épèle avec des gestes forcenés, en ayant l’air de battre la mesure aux infortunés musiciens