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le trépas de Henri II, il ne déplore pas moins le prochain département de sa Dame qui, devenue duchesse de Savoie, s’en allait dans les états de son mari : « Je ne puis, écrit-il, continuer plus longuement ce propos sans larmes, je dis les plus vraies larmes que je pleurai jamais… » En cela encore, Du Bellay me semble accomplir l’image parfaite, le juste emblème d’une école qui a si peu vécu et qui n’eut qu’un instant. Il brille avec Henri II, le voit mourir et meurt. Il chante sous un regard de Madame Marguerite, et, quand elle part pour la Savoie, il meurt. À cette heure-là, en effet, l’astre avait rempli son éclat ; l’école véritable, en ce qu’elle avait d’original et de vif, était finie.

La Défense et Illustration de la Langue Françoise, qui suivit de peu de mois son premier recueil, peut se dire encore la plus sûre gloire de Du Bellay, et son titre le plus durable aujourd’hui. Ce ne devait être d’abord qu’une épître ou avertissement au lecteur, en tête de poésies ; mais la pensée prit du développement, et l’essor s’en mêla : l’avertissement devint un petit volume. J’ai parlé trop longuement autrefois[1] de cette harangue chaleureuse, pour avoir à y revenir ici : elle est d’ailleurs à relire tout entière. La prose (chose remarquable, et à l’inverse des autres langues) a toujours eu le pas, chez nous, sur notre poésie. À côté de Villehardouin et de ses pages déjà épiques, nos poèmes chevaleresques rimés font mince figure ; Philippe de Comines est d’un autre ordre que Villon. De nos jours même, quand le souffle poétique moderne s’est réveillé, Châteaubriand, dans sa prose nombreuse, a pu précéder de vingt ans les premiers essais en vers de l’école qui se rattache à lui. Au XVIe siècle, le même signe s’est rencontré. Du Bellay, le plus empressé, le plus vaillant des jeunes poètes et le porte-enseigne de la bande, veut planter sur la tour gauloise de Brancus la bannière de l’ode, les flammes et banderoles du sonnet ; que fait-il ? il essaie auparavant deux simples mots d’explication, pour prévenir de son dessein et de celui de ses jeunes amis ; et ces deux mots deviennent une harangue, et cette harangue devient le plus beau et le plus clair de l’œuvre. Comme dans tant d’entreprises qu’on a vues depuis, ou, pour mieux dire, comme dans presque toutes les entreprises humaines, c’est l’accident, c’est la préface qui vaut le mieux.

Honneur à lui pourtant d’avoir le premier, chez nous, compris et proclamé que le naturel facile n’est pas suffisant en poésie, qu’il y a le labeur et l’art, qu’il y a l’agonie sacrée ! Le premier il donna

  1. Tableau de la Poésie française au seizième Siècle, pag. 58 et suiv.