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ANCIENS POÈTES FRANÇAIS.

ses amis de Paris, son humble vie d’études, sa gloire interceptée au départ, et il eut, en ne croyant écrire que pour lui, des soupirs qui nous touchent encore. Depuis trois ans cloué comme un Prométhée sur l’Aventin, il ne prévoit pas de terme à son exil : que faire ? que chanter ? Il ne vise plus à la grande faveur publique et n’aspire, comme devant, au temple de l’art ; il fait de ses vers français ses papiers journaux et ses plus humbles secrétaires : il se plaint à eux et leur demande seulement de gémir avec lui et de se consoler ensemble :

Je ne chante, Magny, je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu’en les chantant, souvent je les enchante.

Et encore :

Si les vers ont été l’abus de ma jeunesse,
Les vers seront aussi l’appui de ma vieillesse ;
S’ils furent ma folie, ils seront ma raison.

Dans ses belles stances de dédicace à M. d’Avanson, ambassadeur de France à Rome, il exprime admirablement, par toutes sortes de gracieuses images, cette disposition plaintive et découragée de son ame : il chante, comme le laboureur, au hasard, pour s’évertuer au sillon ; il chante, comme le rameur, en cadence, afin de se rendre, s’il se peut, la rame plus légère. Il avertit toutefois que, pour ne fâcher le monde de ses pleurs (car, poète, on pense toujours un peu à ce monde pour qui l’on n’écrit pas), il entremêlera une douce satire à ses tableaux, et il a tenu parole : la Rome des satires de l’Arioste revit chez Du Bellay à travers des accens élégiaques pénétrés.

Littérairement, ces Regrets de Du Bellay ont encore du charme, à

    Des vers heureux de naître et long-temps murmurés ;
    Moi dont les chastes nuits, avant la lampe éteinte,

    Ourdiraient des tissus où l’ame serait peinte,
    Ou dont les jeux errans, par la lune éclairés,
    S’en iraient faire un charme avec les fleurs des prés ;
    Moi dont le cœur surtout garde une image sainte !

    Au tracas des journaux perdu matin et soir,
    Je suis à ce métier comme un Juif au comptoir,
    Mais comme un Juif du moins qui garde en la demeure,

    Dans l’arrière-boutique où ne vient nul chalant,
    Sa Rebecca divine, un ange consolant,
    Dont il rentre baiser le front dix fois par heure.