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Cette douceur angevine, qu’on y veuille penser, est mêlée ici de la romaine, de la vénitienne, de toute celle que Du Bellay a respirée là-bas. Seule et primitive, avant de passer par l’exil romain, elle n’eût jamais eu cette finesse, cette saveur poétique consommée. C’est bien toujours le vin du pays, mais qui a voyagé, et qui revient avec l’arome. Combien n’entre-t-il pas d’élémens divers, ainsi combinés et pétris, dans le goût mûri qui a l’air simple ! Combien de fleurs dans le miel parfait ! Combien de sortes de nectars dans le baiser de Vénus !

Il est dans l’Anthologie deux vers que le sonnet de Du Bellay rappelle ; les avait-il lus ? Ils expriment le même sentiment dans une larme intraduisible : « La maison et la patrie sont la grace de la vie : tous autres soins pour les mortels, ce n’est pas vivre, c’est souffrir. »

Enfin Du Bellay quitte Rome et l’Italie ; le cardinal a besoin de lui en France et l’y renvoie pour y soigner des affaires importantes. Il repasse les monts, mais non plus comme il les avait passés la première fois, en conquérant et en vainqueur. Quatre années accomplies ont changé pour lui bien des perspectives. Usé par les ennuis, par les chagrins où sa sensibilité se consume, tout récemment encore vieilli par les tourmens de l’amour et par ses trop vives consolations peut-être, il est presque blanc de cheveux[1]. Au seuil de ce foyer tant désiré, d’autres tracas l’attendent ; les ronces ont poussé ; les procès foisonnent. Il lui faudrait, pour chasser je ne sais quels ennemis qu’il y retrouve, l’arc d’Ulysse ou celui d’Apollon.

Adieu donques, Dorat, je suis encor Romain,

    préau. On s’y souvient d’un grand homme qui y vécut jadis ; voilà tout. Il n’y a point de restes authentiques du manoir qu’il habita. — La locution de douceur angevine, qui termine le mémorable sonnet, peut paraître réclamer un petit commentaire quant à l’acception précise. J’interroge dans le pays, et on me répond : Ce n’est point une locution proverbiale, ou du moins ce n’en est plus une ; mais, indépendamment de l’idée naturelle et générale (dulces Argos) qu’un lecteur pur et simple pourrait se contenter d’y trouver, cette expression n’est pas tout-à-fait dénuée d’une valeur relative et locale. Il existe, en effet, sur le compte des Angevins une tradition de facilité puisée dans l’abondance de tous les biens de cette vie, dans la suavité de l’air et du sol. Le caractère du bon roi René en donne l’idée. Andegavi molles, disait le Romain.

  1. Jam mea cygneis sparguntur tempora plumis,

    dit-il à l’imitation d’Ovide ; c’est d’avance comme Lamartine :

    Ces cheveux dont la neige, hélas ! argente à peine
    Un front où la douleur a gravé le passé.