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encore soutenu et a surnagé sans trop d’injure dans le naufrage du passé. Ménage, son compatriote d’Anjou, parle, en une églogue, de

Bellay, ce pasteur d’éternelle mémoire.

Colletet, dans son Art poétique imprimé, remarque que, de cette multitude d’anciens sonnets, il n’y a guère que ceux de Du Bellay qui aient forcé les temps. Sorel, Godeau, tiennent compte de sa gravité et de sa douceur. Boileau ne le lisait pas, mais Fontenelle l’a connu et extrait avec goût. Au XVIIIe siècle, Marmontel l’a cité et loué ; les auteurs des Annales poétiques, Sautreau de Marsy et Imbert, l’ont présenté au public avec faveur. En un mot, cette sorte de modestie qu’il a su garder dans les espérances et dans le talent, a été comprise et a obtenu grace. Lorsque nous-même nous eûmes il y a quelques années, à nous occuper de lui, il nous a suffi à son égard de développer et de préciser les vestiges de bon renom qu’il avait laissés ; nous n’avons pas eu à le réhabiliter comme Ronsard. Mais ce nous a été aujourd’hui une tâche très douce pourtant, que de revenir en détail sur lui, et d’en parler plus longuement, plus complaisamment que personne n’avait fait encore. Bien des réflexions à demi philosophiques nous ont été, chemin faisant, suggérées. Les écoles poétiques passent vite ; les grands poètes seuls demeurent ; les poètes qui n’ont été qu’agréables s’en vont. Il en est un peu de ce que nous appelons les beaux vers comme des beaux visages que nous avons vus dans notre jeunesse. D’autres viendront qui, à leur tour, en aimeront d’autres ; — et ils sont déjà venus.


Sainte-Beuve.