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Bourbons, première conséquence du triomphe des coalisés, n’avait pas été la suite d’un plan formé à l’avance, mais le résultat inattendu de circonstances fortuites qui avaient délivré les puissances du plus grand embarras de leur victoire, la nécessité de régler le sort de la France. Ce premier problème étant résolu, il restait à disposer de la Belgique, de la Pologne, de l’Italie, des provinces rhénanes, d’une partie de l’Allemagne centrale et septentrionale, et à reconstituer le corps germanique. Or, dans ce remaniement général de l’Europe, on était dominé par une idée fixe, celle de créer contre la France une grande force d’agression et de défense, comme si la liberté du monde n’eût jamais dû être menacée que de ce côté. Ce fut dans ce but qu’on créa le royaume des Pays-Bas avec son rempart de forteresses, qu’on établit la Prusse sur la rive gauche du Rhin, qu’on fit à l’Autriche une si énorme part en Italie, qu’on livra la Pologne à la Russie, et qu’on abandonna à l’Angleterre tant d’importantes positions destinées à assurer plus solidement son omnipotence maritime et son monopole commercial. La France, réduite aux limites qu’elle avait eues sous ses derniers rois, paraissait encore trop dangereuse pour qu’on ne dût pas fortifier, par de notables accroissemens de territoire, toutes les puissances rivales : c’est ce qu’on appela rétablir l’équilibre européen. Tout ce qui assurait ce soi-disant équilibre fut jugé suffisamment juste et légitime ; on lui immola les droits anciens, les souvenirs historiques, les convenances morales, les intérêts religieux des populations ; on ne respecta à quelques égards qu’un certain droit monarchique, pour lequel M. de Talleyrand créa le mot de légitimité. Ainsi les pays qui avaient été gouvernés par des dynasties héréditaires furent en général restitués à leurs anciens possesseurs. Quant à ceux qui n’avaient pas eu cet avantage, comme Venise, Gênes, la Pologne, les états sécularisés et médiatisés de l’Allemagne, ils furent considérés comme vacans et disponibles, et on se crut autorisé à les distribuer selon le bon plaisir et les convenances des hautes parties contractantes. C’est ainsi que la destruction de la vieille Europe, opérée par Napoléon, fut ratifiée et légalisée par ses vainqueurs. Comme le dit fort bien Gœrres, « ils se mirent en son lieu et place, et, après avoir proscrit le grand spoliateur de la société européenne, ils jugèrent de bonne prise ce qu’il s’était approprié[1]. » Sans doute, les difficultés étaient grandes, on avait les mains liées par des engagemens pris d’avance ; certains arrangemens peu conformes

  1. Gœrres, l’Allemagne et la Révolution.