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Ces paysans, qu’on avait mis aux trousses des brigands, n’avaient nulle envie de les rencontrer. Les soldats qui les accompagnaient avaient beaucoup de peine à les faire marcher en avant ; leur frayeur se trahissait par de fréquentes exclamations et par une hésitation continuelle. Si quelques hommes fatigués restaient en arrière : — Ah mon Dieu ! ils nous abandonnent, s’écriaient les plus avancés. — Voilà les brigands ! répétaient-ils à haute voix d’instans en instans ; comme s’ils eussent été bien aises de leur donner l’éveil. Lorsqu’enfin on eut acquis la certitude que la bande était délogée, les volontaires reprirent leur belle humeur ; les uns grimpaient sur les arbres et dénichaient des nids d’écureuils, d’autres racontaient joyeusement comment ils s’étaient échappés de prison ; un paysan qui, grace à son extrême agilité, avait un jour dépisté les sbires qui le poursuivaient et qui depuis n’avait plus été inquiété, montait sur les châtaigniers, et, pour prouver qu’il n’avait rien perdu de son adresse, se laissait retomber à terre en se pendant à l’extrémité des branches avec la légèreté d’un singe. On voit que les poursuivans ne valaient guère mieux que les poursuivis. Les Français, en pareille circonstance, s’y prenaient d’une autre manière : ils encadraient ces milices entre des soldats qui avaient ordre de tirer sur les récalcitrans, les traînards et les flâneurs.

Ce fut au retour de cette expédition que l’on apprit que le chirurgien de Castel-Madama, petit bourg des environs de Tivoli, Eustachio Cherubini, et Bartolomeo Marasca, homme d’affaires du chevalier Bischi, venaient d’être enlevés par les brigands, qui, se proposant de tirer rançon de leurs captifs, les avaient conduits dans la montagne. Cette nouvelle jeta la consternation dans chacune des bourgades menacées et paralysa l’énergie fort douteuse de leurs habitans. Charmés de trouver un prétexte pour ne pas s’exposer à de nouveaux dangers, ils se disaient entre eux que tant que l’on n’aurait pas payé la rançon du chirurgien, et que les brigands ne l’auraient pas relâché, il fallait se tenir tranquille et sur la défensive ; qu’autrement ces misérables, poussés à bout, mettraient à mort leurs prisonniers. On se contenta donc d’observer les bandes, qui paraissaient s’être concentrées aux environs de San-Gregorio et de Mentorella. On occupa quelques-uns des passages par lesquels on supposait qu’ils chercheraient à s’échapper. À peine achevait-on de prendre ces dernières mesures, que l’on apprit que l’un des deux captifs, Bartolomeo Marasca, venait d’être mis à mort, et que ses assassins se retiraient dans la direction de Guadagnola. Ce passage seul n’était pas gardé ; le