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ÉTUDES SUR L’ALLEMAGNE.

l’autre. Au congrès d’Aix-la-Chapelle, qui eut lieu à la fin de 1818 et qui délivra la France de l’occupation des troupes étrangères, un jeune Russe, M. de Stourdza, présenta aux souverains et à leurs ministres un mémoire sur l’état présent de l’Allemagne, où il signalait énergiquement les dangers qui résultaient, selon lui, de l’esprit des universités allemandes. Cet écrit, tiré à peu d’exemplaires, et qu’on voulait dérober à la publicité, fut, malgré toutes les précautions prises, réimprimé à Paris et répandu en Allemagne, où il excita, comme de raison, beaucoup d’indignation. Des étudians d’Iéna vinrent demander raison à l’auteur des accusations qu’il avait portées, mais il eut l’imprudence de répondre qu’il avait écrit par ordre de son souverain, et qu’il n’avait été en cette occasion que le rédacteur de la pensée impériale. Toute la colère de la jeunesse allemande se tourna alors contre l’empereur de Russie, qui était devenu notoirement l’adversaire prononcé des idées libérales, dont il avait été quelque temps engoué. Elle attribua à l’influence de la Russie sur les princes de la confédération tous les pas rétrogrades de ceux-ci, et jura une haine à mort à ce nouvel ennemi de l’indépendance de l’Allemagne. Un écrivain allemand devenu conseiller d’état russe, Kotzebue, célèbre par ses romans et ses pièces de théâtre, publiait alors à Manheim une feuille hebdomadaire où il s’attachait à tourner en ridicule le patriotisme et le libéralisme germaniques. L’indignation, depuis long-temps excitée dans les universités par ses écrits, fut portée au comble lorsqu’on apprit qu’il envoyait continuellement à Saint-Pétersbourg des bulletins secrets, et que c’était vraisemblablement d’après ses rapports que s’était formée l’opinion d’Alexandre sur l’état de l’Allemagne. Les passions du moment exagérèrent hors de toute proportion l’importance de cet adversaire, et les malédictions véhémentes lancées journellement contre Kotzebue fanatisèrent à tel point un étudiant en théologie protestante, nommé Sand, qu’il crut rendre un grand service à sa patrie en la délivrant de cet agent du despotisme étranger, et qu’il alla en effet le poignarder. Cette action criminelle était la conception solitaire d’un cerveau en délire, et l’instruction judiciaire ne put trouver à Sand ni confidens ni complices ; toutefois beaucoup l’approuvèrent ou l’excusèrent, et il fut imité quelques mois après par un apothicaire, nommé Lening, qui tenta d’assassiner le président Ibell, fonctionnaire important du duché de Nassau. Alors les gouvernemens prirent l’alarme et crurent à l’existence d’une espèce de tribunal secret organisé pour l’assassinat. On multiplia les emprisonnemens et les perquisitions, on ferma les écoles