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s’étonne, après cela, de la perpétuité du brigandage dans les états romains !

Tandis que ce désordre et ces hésitations continuelles rendaient inefficaces les mesures prises par les magistrats et les officiers qui commandaient dans ces petites villes, que faisaient les brigands, retranchés sur la cime des montagnes qui les dominaient ? Le récit de l’un de leurs captifs, Eustachio Cherubini, le chirurgien de Castel-Madama, va nous l’apprendre.

— Le 17 du mois d’août, nous dit-il dans le récit qu’il a laissé de sa captivité, Bartolomeo Marasca, intendant du chevalier Bischi, m’apporta une lettre de son maître, qui réclamait mes secours pour des étrangers de ses amis qui se trouvaient alors à Tivoli. Je me hâtai de visiter mes malades de Castel-Madama, et je me mis en route pour Tivoli dans la compagnie de l’intendant. Nous n’étions plus qu’à deux milles de cette ville, et nous venions de traverser la seconde arcade de l’aqueduc antique, quand tout à coup deux hommes, sortant des broussailles, nous couchèrent en joue, ordonnèrent à Marasca de jeter le fusil dont il était armé, et le sommèrent de mettre pied à terre. Ces brigands nous barraient le chemin ; dans le même moment, deux autres parurent derrière nous, de sorte qu’il n’y avait possibilité ni de passer outre ni de fuir. Nous descendîmes de cheval, Marasca remit son fusil, et, quittant bientôt tout chemin fréquenté, nous gravîmes au milieu des broussailles les pentes escarpées de la montagne la plus proche. Quand nous fûmes arrivés au sommet, le chef fit faire halte pour rallier ses gens, qui ramenaient plusieurs habitans de San-Gregorio qu’ils avaient rencontrés en chemin, et l’on nous permit de nous coucher sur le gazon.

Je remarquai alors que Marasca était fort à son aise avec les brigands. Il causait et riait avec eux ; je soupçonnais presque une trahison.

Au moment où nous nous arrêtions, Masocco, le chef de la bande sans doute, s’approcha de moi. — N’es-tu pas le gouverneur de Castel-Madama ? me demanda-t-il avec humeur. — Non ; je ne suis qu’un pauvre chirurgien de cette bourgade. — Ne t’avise pas de mentir, me dit-il, car nous te traiterions comme le maître de poste de Terracine[1]. — Je ne mens pas, répartis-je aussitôt ; voyez

  1. Cet homme avait voulu se faire passer pour un pauvre médecin de campagne ; sa supercherie ayant été découverte, les bandits lui plantèrent une fourchette dans chaque œil, lui disant ; Médecin, guéris-toi.