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nom de Dieu, épargnez ma vie, j’ai une femme et des enfans ! Mais comme Masocco redoublait, il essaya de se défendre et de le saisir à la gorge ; les autres brigands ne lui en laissèrent pas le temps, ils se jetèrent sur lui et l’entraînèrent vers le bord d’un ravin profond. Marasca était vigoureux, mais la lutte était trop inégale pour être de longue durée ; il y eut un moment de confusion horrible durant lequel je vis tous ces hommes, les assaillans et l’assailli, tomber et se relever à la fois, retomber encore, puis rouler ensemble au fond du ravin sur le bord duquel nous étions assis. Glacé d’horreur, je penchai ma tête sur ma poitrine et je fermai les yeux ; j’entendis des imprécations, un grand cri, des plaintes étouffées, puis je n’entendis plus rien, et je restai quelques momens comme privé de sentiment. Quand je rouvris les yeux, j’étais entouré des brigands ; Masocco, haletant, essuyait son poignard marbré de sang et le remettait dans le fourreau ; il vit ma pâleur, et se tournant vers moi : — Ne crains rien, Cherubini, me dit-il ; nous avons tué ton compagnon parce que nous savions qu’il était sbire, mais toi tu ne fais pas un pareil métier. Le misérable murmurait, examinait nos armes et semblait nous railler ; nous ne pouvions d’ailleurs tirer un sequin de lui, et si les soldats fussent venus, il se serait tourné de leur côté.

Ces paroles du chef m’avaient rendu quelque confiance, et mon ame se rouvrait encore une fois à l’espérance, quand je vis les brigands se rapprocher et se consulter entre eux. — L’argent de Tivoli ne vient pas, disaient les uns. — C’est vrai, et à la place d’écus ce sont des soldats qu’on va sans doute nous envoyer, s’écriaient les autres. — Que ferons-nous de nos prisonniers ? reprenait un des chefs ; il faut ou les tuer ou les renvoyer chez eux. — Les avis étaient partagés. Masocco, laissant ses compagnons disputer entre eux, vint s’asseoir près de moi sur le gazon ; je me rappelai, dans ce moment, que j’avais quelques écus dans mes poches ; je les lui donnai, espérant de cette façon me le rendre favorable. Il prit l’argent et se mettant à rire : — Ce sera pour payer le messager, me dit-il.

Vers les quatre heures de l’après-midi, de gros nuages, qui nous menaçaient depuis long-temps, crevèrent sur nos têtes ; il plut à torrens, et, comme je n’avais pas de manteau, je fus trempé jusqu’aux os. Tout à coup, au milieu de l’orage, on entendit des voix de divers côtés. Les plus rapprochées partaient d’une colline à notre gauche. — C’est le messager, dis-je au chef. — Nous allons voir, — et il appela. Mais personne ne vint et on n’entendit plus rien. Cependant, au bout de quelques instans, on crut distinguer de nouvelles voix vers