Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/326

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
322
REVUE DES DEUX MONDES.

Alfonse. — Je prêterai le serment, qui osera le recevoir ?

Le Cid. — Moi, qui ne connais pas la crainte.

Diego de Lara. — Ses yeux lancent des éclairs.

Le Cid. — Alfonse, puissiez-vous être tué, non avec des épées dorées, mais avec des couteaux de la montagne, non par des nobles des Asturies, mais par des vilains étrangers à la Castille, par des hommes qui portent des sandales et non des souliers, des manteaux d’une grossière étoffe et non d’un drap délicat ! puissent-ils vous arracher le cœur par le côté gauche, si vous avez eu part, si vous avez consenti à la mort de votre frère ! Le jurez-vous ?

Alfonse. — Je le jure, j’en prends le ciel à témoin.

Le Cid. — Puissiez-vous mourir comme votre frère, percé de part en part avec un javelot aigu par un autre Bellido, si vous avez donné l’ordre, si vous avez eu connaissance de la mort de don Sanche ! et dites : Ainsi soit-il !

Alfonse. — Ainsi soit-il !

Le Cid. — Mettez la main sur votre épée ; jurez, foi de chevalier, que vous n’avez ni préparé ni ordonné, pas même en pensée, la mort que pleure toute la Castille. Le jurez-vous ?

Alfonse. — Je le jure. Mais sachez, Cid, que presser un roi de la sorte, c’est peu de respect de la part d’un sujet. Est-il raisonnable à vous de vous montrer si hardi envers celui dont vous devrez ensuite baiser les mains à genoux ?

Le Cid. — Cela pourra avoir lieu si je deviens votre sujet.

Alfonse. — Eh ! que m’importe que vous le deveniez ou non ? Ne me répondez pas.

Le Cid. — Je me tais et je pars…

Le Roi. — Partez, qu’attendez-vous ?

Le Cid. — Je pars pour vaincre des rois et conquérir des royaumes.

L’infante s’efforce d’apaiser le Cid. Arias Gonzalo représente au roi combien il lui importe, lorsque la couronne n’est pas encore bien affermie sur sa tête, de ne pas irriter un homme aussi puissant. Ces sages remontrances sont écoutées. Le Cid consent à faire sa soumission, et le roi lui déclare que c’est de sa main qu’il veut recevoir la couronne.


Les deux drames de Guilen de Castro ne sont pas les seuls dont l’histoire du Cid ait fourni le sujet ; mais les autres méritent peu de fixer notre attention. Nous n’en exceptons pas celui de Diamante, à qui Voltaire a donné en France une certaine célébrité, parce qu’il a cru que Corneille l’avait aussi imité. Si cette opinion eût été fondée, il faut avouer que la part d’originalité de l’œuvre de Corneille eût été bien faible. Toute la portion qui n’est pas empruntée à Guilen de Castro se trouve en effet dans Diamante ; mais c’est ce dernier qui a copié notre grand tragique, et là où il ne le traduit pas littéralement, on peut dire qu’il le parodie.

Le Cid, nous l’avons déjà fait remarquer, est placé, en quelque sorte, dans l’histoire d’Espagne, à l’entrée du moyen-âge. C’est à partir du temps où il