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qui, plus qu’aucun autre, se montre animé, dans la plupart de ses ouvrages, de cette indifférence pour la vie humaine, suite naturelle de la superstition religieuse et du fanatisme de l’honneur.

Un autre fait célèbre du règne de Philippe II, la surprise d’Amiens, enlevé à la France par un stratagème si connu, a fourni à Candamo, un des plus brillans poètes de l’école de Calderon, le sujet d’une fort belle comédie, dont le titre, Pour son roi et pour sa dame, indique parfaitement le caractère tout chevaleresque et tout héroïque. Candamo suppose que le vaillant Porto Carrero, amoureux de la fille du principal magistrat d’Amiens, et ne pouvant espérer de devenir son époux que lorsqu’ils seraient soumis à la même domination, se trouve amené, par l’entraînement de sa passion, à tenter et à accomplir une œuvre aussi difficile que la conquête d’une place de cette force. C’est par là qu’il couronne une suite d’entreprises plus hardies, plus téméraires, plus romanesques les unes que les autres, où il s’engage successivement pour prouver à la belle Sérafine qu’aucun des vœux qu’elle lui laisse entrevoir n’est au-dessus de son courageux dévouement. Il est impossible de mieux soutenir et de mieux graduer l’intérêt que ne l’a fait Candamo dans ce remarquable drame. Le ton du dialogue, galant, courtois, spirituel, s’adapte merveilleusement à l’action et aux personnages. Les caractères sont admirablement dessinés, le contraste des mœurs françaises et espagnoles est rendu d’une manière frappante, et il règne dans tout l’ensemble une exaltation héroïque, un sentiment d’orgueil patriotique, une vivacité de traditions et de souvenirs dont le charme, sensible même pour des étrangers, eût dû, ce semble, maintenir cette pièce sur le théâtre de Madrid.

C’est encore sous Philippe II que se passe l’évènement singulier auquel un poète inconnu a emprunté le sujet d’un drame célèbre en Espagne, le Pâtissier de Madrigal. L’extrême originalité dont il est empreint nous engage à en donner ici l’analyse détaillée.

Ce pâtissier est un adroit imposteur qui, quelque temps après la mort du fameux Sébastien de Portugal, tué dans une expédition contre les Maures d’Afrique, était parvenu à se faire passer pour ce malheureux prince. Voici comment le poète, d’accord presque en tout point avec la vérité des faits, présente cette singulière aventure. Philippe II, profitant de l’extinction de la branche directe de la maison royale de Portugal pour faire valoir contre des compétiteurs moins puissans les droits qu’il s’attribuait à la succession de ce royaume, a réussi à y établir son autorité ; mais le peuple qu’il a soumis par la force des armes regrette vivement son indépendance. Dans l’humiliation où il se trouve réduit, sa pensée se reporte sans cesse vers les époques brillantes où, sous des monarques nationaux, le Portugal formait un état particulier dont les annales rappellent des souvenirs si glorieux. Par une sorte de contradiction qu’explique très bien l’organisation du cœur humain, il garde surtout un puissant souvenir de cet infortuné Sébastien, qui, par sa témérité, a causé avec la ruine de l’état la désolation de tant de familles, mais dont le courage héroïque, l’esprit chevaleresque et les malheurs même émeuvent toutes les imaginations.