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THÉÂTRE ESPAGNOL.

et par une sorte de divination, de grands esprits ont pu échapper quelquefois à cette alternative ; mais ces exceptions sont bien rares, et, en les examinant de près, on reconnaîtrait peut-être qu’elles ne sont qu’apparentes.

Nous ne pousserons pas plus loin cette digression. Il nous reste d’ailleurs peu de choses à ajouter pour épuiser ce que nous avions à dire des drames historiques espagnols.

Nous n’avons parlé jusqu’à présent que de ceux qui se rapportent à l’histoire d’Espagne. Les poètes castillans n’ont pourtant pas borné à leurs propres annales le choix des sujets qu’ils ont transportés sur la scène. La mythologie, l’histoire sainte, celle des Grecs et des Romains, celle de tous les peuples modernes, ont été mises par eux à contribution ; mais, en quelque lieu qu’ils placent la scène de leur drame, ce sont toujours, en effet, des mœurs et des personnages espagnols du XVIe et du XVIIe siècles qu’ils nous présentent. Les anachronismes, les disparates les plus bizarres, les plus ridicules, du moins à notre sens, n’effrayaient pas des esprits si cultivés pourtant. On dirait presque qu’ils les recherchaient. Ce ne sont plus là, à vrai dire, des drames historiques, ce sont des œuvres de pure imagination que l’absence par trop complète du sentiment de réalité et de vérité finit par dépouiller de tout intérêt. On ne comprend pas comment ces ouvrages, pour la plupart si médiocres, même dans ce qu’ils ont de moins déraisonnable, ont pu obtenir un succès qui, au surplus, s’est beaucoup prolongé pour quelques-uns d’entre eux. Les vieillards de Madrid se souviennent encore d’avoir vu représenter une pièce de Zarate, écrivain du temps de Philippe IV, intitulée : le Précepteur d’Alexandre, et dans laquelle Aristote, en costume d’abbé, en petit manteau et avec des boucles à ses souliers, était transformé en confident des amours de son élève. Dans l’Esclave aux chaînes d’or, de Candamo, œuvre très remarquable à beaucoup d’égards, l’empereur Adrien va soupirer la nuit sous le balcon de sa maîtresse, se bat en duel avec un rival qu’il y rencontre, et il faut que Trajan vienne les séparer. C’est ainsi que les poètes espagnols comprenaient alors l’antiquité. Ne nous hâtons pas trop de nous en moquer. N’était-ce pas à la même époque que nos romanciers peignaient Caton galant et Brutes dameret ?


Louis de Viel-Castel.