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LITTÉRATURE ANGLAISE.

belle figure, ne lui sera pas donné ; mais du moins entreverra-t-il l’ombre éloignée de ta grace et de tes vertus. »

C’est un bonheur assurément pour le poète et la poésie, quand le cri de l’ame, jaillissant de l’intime source des passions, peut se faire jour, sans peine et sans travail, dans un rhythme facile, dans une langue souple, au moyen d’une diction prête à tout dire et d’un idiome qui ne se refuse à aucun accent lyrique. Tel est le poème de Mme Norton. L’émotion vraie, le poignant souvenir d’une douleur récente, toute la fierté et toute la tristesse de la femme en révolte contre un monde injuste, avaient à peine besoin de la forme pour devenir poésie. Ces strophes de Mme Norton, dont nous transcrirons quelques vers afin que les amis de la poésie anglaise rendent justice à la fidélité de notre traduction, rivalisent avec les plus belles de lord Byron, pour la pureté de la versification et la puissance de l’élan poétique[1].

Si l’on ne connaît, parmi les idiomes européens, que la seule langue française et son système rhythmique, on ne peut se faire une idée de la facilité que les autres langues, tudesques et néo-latines, offrent à la poésie passionnée. Non-seulement l’italien avec ses voyelles multiples et ses rimes éternelles, l’espagnol avec ses assonances, le portugais avec la plénitude et la magnificence de ses accens, mais l’allemand qui retentit comme une orgue aux tuyaux de cuivre, dont les notes solennelles se prolongent et se perdent dans l’espace, l’allemand qui possède tous les rhythmes et se plie à toutes les versifications ; mais l’anglais lui-même, accentué, vibrant, iambique de sa nature, non pas harmonieux sans doute, mais souverainement et vigoureusement cadencé, sont des instrumens merveilleux pour le

  1. Thou then, when cowards lied away my name
    And scoff’d te see me feebly stem the tide,
    When some were kind on whom I had no claim
    And some forsook, on whom my love relied,
    And some who might have battled for my sake,
    Stood off in doubt to see what turn the world would take ;

    Thou gav’st me that the poor give to the poor,
    Kind words and holy wishes, and true tears ;
    The lov’d, the near of kin, could do no more,
    Who chang’d not with the gloom of varying years,
    But clung the closer when I stood forlorn,
    And blunted slander’s dart with their indignant scorn.

    The Dream. — Dedication to Lady Sutherland.