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frère aîné pas davantage ; il ne tenait à qui que ce fût sur la terre, et portait le simple nom de Cordier. Il n’était pas plus abbé que vous et moi, c’est-à-dire qu’il n’avait jamais ouvert un bréviaire, mais il avait pris la tonsure et le petit collet comme un passeport provisoire qui menait à toutes choses. L’abbé Cordier avait vingt ans, l’œil en amande, la face rose, la physionomie franche, un caractère doux, une gaieté inaltérable, de la complaisance, l’envie de plaire et pourtant beaucoup de modestie. Nous ne savons pas qui l’avait nourri et conduit jusqu’à ce bel âge de vingt ans, car le jeune abbé ne parlait pas de lui-même, et qui eût jamais pensé à lui faire conter l’histoire de son enfance ? De peur de rien changer à la vérité, nous le prendrons au moment où il se fit connaître.

L’abbé Cordier s’introduisit sur la scène du monde, on ignore par quel passage étroit ; toujours est-il que le 26 janvier 1770, il se trouva dans les coulisses de l’Opéra, où il n’avait point ses entrées, offrant une prise de tabac au directeur, M. Berton, qu’il ne connaissait pas. C’était le jour d’ouverture de la nouvelle salle, et l’on jouait la tragédie de Zoroastre. On admirait beaucoup les constructions, les ornemens et sculptures ; le public applaudissait ; les acteurs étaient en verve, les dorures toutes fraîches et les cœurs épanouis ; ce n’était pas un jour à chicaner les gens sur leur présence dans les coulisses.

À peine M. Berton eut-il insinué ses doigts dans la tabatière de notre abbé, qu’une familiarité agréable s’établit entre eux. M. Moreau, l’architecte du roi, et M. Vassé, le peintre, vinrent se joindre à lui pour féliciter le directeur. Le jeune abbé était charmé de l’heureuse distribution de l’intérieur, des sept portiques égaux de la seconde entrée, de la galerie de ronde qui offrait une quantité d’issues commodes ; il savait que l’ouverture de la scène avait trente-six pieds de largeur sur trente-deux de hauteur ; il admirait le bel ovale du plafond, le tableau représentant les muses et les talens lyriques rassemblés par le génie des arts. Apollon, porté sur un char enflammé, faisait fuir l’Ignorance et l’Envie ; des renommées d’un effet merveilleux, soutenaient des globes d’azur semés de fleurs de lys ; des enfans formaient une chaîne à l’entour avec des guirlandes. La salle pouvait contenir deux mille cinq cents personnes. On avait supprimé les poteaux qui divisaient et gênaient les loges. L’abbé Cordier venait d’examiner à fond tout cela. On voyait bien, disait-il, que M. Moreau avait puisé ses modèles en Italie. L’acoustique du bâtiment était excellente ; tout paraissait calculé, prévu et arrangé pour les aises du public et la fortune du théâtre. Ainsi s’exprimait l’abbé, au grand