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— C’est dommage ! c’est pardieu dommage ! répéta plusieurs fois M. Durand.

Mlle Charlotte était une grande et jolie fille qui avait des yeux bleus et des doigts effilés. L’isolement et son goût pour la lecture lui avaient donné des idées romanesques. L’abbé ne lui montra pas les mathématiques, mais il lui enseigna des jeux de cartes pour occuper les heures de la soirée. La jeune personne était versée dans la botanique, et Cordier en avait quelques notions. Ils cueillirent ensemble une foule de fleurs dont ils cherchèrent les noms dans les livres. On fit encore dans les talens de notre abbé une découverte importante. Le lecteur nous pardonnera-t-il de l’avoir mené jusqu’à cet endroit sans lui dire que Cordier savait jouer de la flûte, non pas en virtuose, mais de façon à enchanter un maître de forges des bois de Mortain ? De tous temps les sons de la flûte ont flatté agréablement les sens des jeunes filles. Or, il y avait une flûte dans la maison, et Mlle Charlotte jouait du clavecin. Ils firent de la musique ensemble, et dès-lors leurs cœurs eurent un grand sujet de sympathie. La demoiselle levait ses yeux bleus sur l’accompagnateur dans les momens où le morceau avait de la passion ; de son côté, le joueur de flûte abaissait ses yeux noirs sur la jeune personne en soufflant avec plus de tendresse. Sans se parler, ils se disaient ainsi beaucoup de choses, tandis que le père dormait et que la mère travaillait à l’aiguille.

Cordier n’était pas un séducteur, puisque dans le très petit nombre de ses bonnes fortunes, il n’y en eut pas une seule où il n’ait laissé faire au beau sexe les premières avances ; mais une fois amoureux, il ne connaissait plus rien, et ne savait guère opposer la raison aux flammes qui le consumaient.

Lorsque deux cœurs se sont entendus, ils savent bien trouver les petites occasions de communiquer ensemble. Cordier, qui occupait une chambre au second étage de la maison, avait l’habitude de s’asseoir un moment au bord de la fenêtre, et de regarder le paysage avant de se coucher ; Mlle Durand faisait de même à l’étage inférieur : elle toussait timidement deux ou trois fois, et l’abbé lui répondait en manière de bonsoir. Le matin, ils recommençaient ce manège. C’eût été une chose bien innocente, s’ils s’en étaient tenus là, mais on en vint bien vite à échanger quelques mots, et puis des conversations s’engagèrent. On parlait d’abord du clair de lune, et ensuite du bonheur de vivre deux tout seuls au milieu des bois. Leur imagination se montant peu à peu, ils supprimaient de la surface du globe, sans