l’intelligible s’évanouit, elle se dissipe en une illusion ; mais du moins l’idée et le jugement qui la pose ont reçu une justification rationnelle.
Dans le système de Kant, l’être est l’image décevante de la forme vide qu’on appelle le Temps, et c’est le rêve de l’intelligence que de prendre ce néant pour une chose. Dans la philosophie écossaise, le fantôme même est chimérique et le rêve impossible. Pour elle, en effet, il n’y a entre le monde des phénomènes et le monde des intelligibles aucun lien ; la raison passe du premier au second sans point d’appui, sans intermédiaire, et son jugement porte à vide. Non seulement elle ne justifie pas la réalité des objets de ses idées nécessaires, mais elle ne justifie pas la possibilité de l’idée, elle n’en assigne pas le sens ; à vrai dire, elle nous laisse douter si c’est bien une conception ou un vain mot.
En prenant son point de départ dans l’observation des phénomènes, la science ne va donc pas plus loin ; tout au plus s’élèverait-elle des faits particuliers à l’expression générale des mêmes faits, et encore on a souvent fait voir que la généralisation la plus bornée ne trouverait pas dans l’expérience pure et simple des faits une justification suffisante. Mais, quoi qu’il en soit, les substances et les causes, les êtres, les existences réelles lui sont interdits ; il faut qu’elle demeure dans un monde d’apparence sans fonds et sans raison.
N’est-il aucun moyen d’échapper à une semblable conséquence ? Elle sort d’un principe qu’on tient pour assuré. Que serait-ce si ce principe n’était qu’une fausse supposition, un préjugé trompeur ?
Le principe de la philosophie écossaise est celui de toute la philosophie anglaise depuis Bacon. Bacon, Hobbes, Locke et Reid s’accordent sur ce point fondamental, qu’aucune expérience n’a pour objet des causes ni des substances, mais uniquement des phénomènes.
Nous allons retrouver dans l’histoire de la science, et de la science parmi nous, dans notre propre pays, un principe contraire, aussi fécond que celui-là nous a paru stérile.
La philosophie anglaise fut apportée et elle a paru naturalisée en France ; mais, après y avoir produit le matérialisme, son fruit naturel, la pensée de Bacon et de Locke, tombée dans le pays de Descartes et de Malebranche, ainsi qu’une plante qui change de nature