point la perception simple tout entière appliquée à l’objet extérieur, comme chez l’animal ; c’est la perception réfléchie, l’aperception de Leibnitz : apperceptio est perceptio cum reflexione conjuncta.
Or, dans la conscience ou l’aperception, qu’est-ce que l’élément réflexif ? c’est le moi, c’est moi-même. Sans le moi, il n’y a point de conscience, car avoir conscience, le mot le dit de lui-même, c’est savoir avec soi, en soi. Mais le moi c’est l’action, l’énergie. Ainsi, non-seulement la conscience implique la perception actuelle de quelque objet extérieur, mais elle implique, ou plutôt elle est essentiellement le sentiment actuel de l’activité, son sujet propre ; les phénomènes internes, considérés à part, en eux-mêmes, et hors de l’activité personnelle, ne sont point, quoi qu’en disent et l’école sensualiste et l’école écossaise, les phénomènes subjectifs de la conscience du moi. C’est là ce que Maine de Biran a supérieurement établi. En outre, s’il est vrai que le non-moi ne soit possible que par l’opposition du moi, il s’ensuit que les phénomènes considérés en dehors de l’activité personnelle n’expriment pas plus le non-moi que le moi. Et par conséquent la psychologie écossaise, et celle même de M. Hamilton, se meuvent dans une sphère d’abstractions, où il n’y a pas plus de matière que d’esprit, de corps que d’ame, dans le royaume des ombres, dans la région du vide,
Quo neque permanent animæ neque corpora nostra,
Sed quæedam simulacra modis pallentia miris.
Tant que l’on considère les phénomènes internes en eux-mêmes et comme de simples objets d’observation, tant qu’on les considère de ce point de vue objectif, et en quelque sorte du dehors, comme Condillac et Bonnet les modifications de leur statue animée, c’est une science de formes et de cases vides, une creuse logique ; ce n’est point la science vivante du sujet de la pensée, la science subjective (dans le sens profond de ce mot), la science de l’esprit.
Ainsi, tandis que la science du monde extérieur n’a pour objet immédiat que des phénomènes, l’expérience de conscience, l’aperception est l’expérience d’une cause. Le physicien ou naturaliste voit devant lui un monde changeant d’apparences diverses, qu’il ramène par degrés à des lois générales. Le philosophe sent en soi, il voit d’une vue intérieure le principe de sa science ; lui-même il est ce principe, lui-même la loi et la cause immanente de ce qui se passe en lui.