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d’os, d’ivoire ou de métal, et qui servaient de billets d’entrée pour les théâtres, les cirques et les autres lieux d’assemblée. Les numéros du gradin et du siége, le cuneus ou le compartiment de la cavea, étaient marqués sur les tessères, absolument comme les indications analogues le sont aujourd’hui sur les billets de parterre en Italie.

L’usage des tessères comme contremarques est incontestable ; mais on s’est trop avancé, suivant moi, en prétendant qu’elles indiquaient quelquefois, outre une place déterminée dans le théâtre, le nom de l’auteur et le titre de la pièce[1]. On s’est appuyé pour soutenir cette opinion 1o  d’une tessère portant le nom d’Eschyle, Αἰσχύλου ; 2o  d’une autre où se lit le mot Ἀδελφοὶ[2], titre d’une comédie de Ménandre ; 3o  d’une tessère réunissant un titre de pièce à un nom d’auteur : Casina Plauti[3].

Pour ma part, je conçois que les entrepreneurs de spectacles aient eu en magasin un certain nombre de jetons d’os, de plomb[4], ou même d’ivoire, quoique cette dernière matière fût d’un prix fort élevé et d’un travail très coûteux[5]. Je conçois encore que les personnes riches ou éminentes, qui avaient acquis ou qui possédaient par privilége le droit d’occuper au théâtre certaines places ou d’en disposer, aient fait graver sur l’ivoire les numéros et les marques qui désignaient ces places, pour s’en servir ou pour les prêter. Mais j’ai peine à admettre qu’un éditeur de spectacles ait fait travailler par la main du graveur douze ou quinze mille jetons d’ivoire pour ne servir qu’à une seule représentation.

Des trois monumens dont on argue pour prouver que les tessères indiquaient la pièce du jour, deux ne me semblent rien prouver. La tessère portant le nom d’Eschyle ne contient le titre d’aucun drame. Le nom seul de ce poète, on en conviendra, eût été une annonce bien vague, surtout si l’on songe au grand nombre de pièces qu’il a composées. Je crois plutôt que le mot Αἰσχύλου indiquait la région du théâtre où se trouvait un buste ou une statue d’Eschyle. C’est ainsi qu’à Syracuse le nom de la reine Philistis, gravé sur la paroi du podium, désignait un des neuf cunei du théâtre de cette ville[6]. On disait à

  1. Millin, Description d’une mosaïque antique, pag. 9.
  2. Voy. pour ces deux tessères, Le Pittur. antich. d’Ercol., tom. IV, tav. VII, et Morcelli, Delle tessere degli spettac. Roman., pag. 7 et 43.
  3. Romanelli, Viagg. a Pompeï, tom. I, pag. 216. — Orelli, Inscript., n. 2539.
  4. Ficoroni, I piombi antichi, part. 2, pluribus locis.
  5. Caylus, Rec. d’Antiq., tom. III, pag. 284 ;
  6. Osann., De regina Philistide. — M. Raoul-Rochette, Lettre à M. Welcker sur quelques inscriptions grecques de la Sicile, dans le Rheinisches Musœum.