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trop d’intervalle entre les parties. » Il justifiait apparemment ce système de morcellement par l’exemple de nos mystères au moyen-âge et de certaines pièces de la Chine[1], ou même par ce qu’on sait de la mise en scène du Pastor fido et ce qu’il avait pu voir de celle du Wallenstein de Schiller.

Si d’ailleurs Casaubon a eu le tort d’appliquer un usage moderne au théâtre antique, il a, du moins, pour excuse d’avoir voulu lever les difficultés que présentent les concours tétralogiques ; mais que dire de Jules Scaliger, qui, sans nécessité, veut que l’Heautontimorumenos de Térence ait été joué à deux reprises, partie le soir et partie le lendemain[2] ? Que dire de Mme Dacier, qui n’admet pas seulement cette idée malheureuse dans ses Remarques sur Térence, mais qui, l’appliquant à ce qu’elle appelle improprement les actes des comédies grecques, soutient que le Plutus d’Aristophane fut représenté en deux séances, les deux premiers actes le soir, après le soleil couché, et les trois derniers le lendemain au point du jour ; confondant l’heure où l’action de la pièce est censée se passer avec l’heure matérielle de la représentation ? Une connaissance plus exacte de la durée des fêtes dionysiaques a fait justice de tous ces systèmes[3].

La seule difficulté réelle qu’offrît la représentation de cinq tétralogies en trois ou quatre jours[4] était la nécessité d’en jouer deux, c’est-à-dire huit pièces, en une journée. Mais le peu d’étendue des tragédies grecques, particulièrement de celles d’Eschyle, et l’extrême brièveté du drame satyrique[5], rendent cette supposition tout-à-fait admissible et probable.

Nous n’éprouvons pas le même embarras pour trouver dans les grandes solennités romaines le temps nécessaire aux représentations théâtrales. D’abord la fécondité dramatique est bien loin d’avoir été aussi grande en Italie qu’en Grèce[6] ; ensuite les Romains ne con-

  1. V. Acosta, Amer., 9 part. lib. IV, cap. VI. — M. Bazin, qui traduit en ce moment le Pi-pa-ky, ou l’Histoire de la Guitare, drame chinois en quarante actes ou tableaux, trouvera probablement dans les historiens littéraires de la Chine les moyens d’expliquer ce prodigieux tour de force de mise en scène.
  2. Jul. Scalig., Poet.
  3. M. Boeckh (Tragœd. Grœcor. princip., pag. 42) s’est très justement moqué de cette étrange opinion, qu’il aurait dû pourtant, en bonne justice, reprocher à l’inventeur.
  4. Plutarque raconte (An Seni, pag. 785) que le tragédien Polus joua, dans une ville qu’il ne nomme pas, huit rôles tragiques en quatre jours.
  5. Le Cyclope d’Euripide, seul drame satyrique qui nous soit parvenu, n’a que sept cent neuf vers.
  6. On attribue, il est vrai, cent trente comédies à Plaute ; mais, dès le temps de Varron, ce chiffre était tellement contesté, que ce judicieux critique dut le réduire à vingt et un.