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hommes d’opinion intermédiaire ne se tiennent à l’écart, les uns renfermés dans une hostilité muette, les autres dans une amitié froide et critique. En même temps, la gauche dynastique, refoulée vers l’extrême gauche d’autant plus vivement qu’elle était plus près des affaires, formera de nouveau une phalange redoutable dans laquelle se laissera inscrire plus d’un homme du centre gauche. Les attaques seront fougueuses, les paroles acerbes, injurieuses, les débats tumultueux, désordonnés. C’est alors que la question extérieure, se dénaturant, ne sera plus qu’un moyen violent et déplorable, une arme pour la question intérieure. C’est alors que le parti conservateur, représenté tous les jours, et à tort sans doute, comme le parti de la paix à tout prix, se trouvera directement aux prises avec le parti de la guerre révolutionnaire. C’est alors que pourront, malheureusement, recommencer ces luttes intestines qui peuvent mettre le pays à deux doigts de sa perte, aujourd’hui que ces luttes auraient lieu en présence de l’Europe ébranlée par la question orientale, que le canon tonne sur les côtes de la Syrie, et que des évènemens graves pourraient, d’un instant à l’autre, ajouter à la fougue des passions et à l’agitation des esprits. Enfin, c’est alors que le parti conservateur aura besoin de se rappeler plus que jamais qu’il n’y a de force réelle que dans la modération, qu’il n’y a de fermeté que dans le bon droit. S’il l’oubliait, la lutte se transformerait à l’instant même en un combat à mort entre la révolution et les ultra-conservateurs, et Dieu seul pourrait en prévoir le résultat.

Notre vœu le plus sincère est de voir ces tristes prévisions s’évanouir complètement. Mais si, par malheur, elles devaient se réaliser, c’est alors que tous les hommes que la passion n’aurait pas aveuglés, que tous les amis éclairés de notre monarchie et de nos institutions essaieraient enfin de se réunir dans un grand faisceau, et de former entre les deux partis extrêmes, non un tiers parti critique et dissolvant, mais un tiers-parti politique, gouvernemental, faisant face également à tous les excès, à toutes les exagérations, repoussant également et ceux qui voudraient humilier la France, et ceux qui prétendraient la lancer sur l’Europe comme une horde de barbares avides de butin et de carnage. Dans ce faisceau, nous retrouverions et les ministres du 1er  mars et les ministres du 29 octobre, et nous aurions, s’il en était encore temps, un gouvernement fort, une administration qui ne vivrait pas au jour le jour, à la merci de quelques voix flottantes dans le parlement ; car il est à craindre qu’au bout de peu de temps la chambre ne se trouve de nouveau coupée en deux, et cependant jamais la France n’a eu un plus grand besoin de montrer au monde une administration solidement assise et sûre de son avenir. C’est le vice capital de l’administration nouvelle que d’avoir une base trop étroite. Nous n’en faisons pas un reproche. On a essayé de l’élargir ; les moyens ont manqué. Pourra-t-on l’élargir plus tard ? C’est possible, si la modération est grande, la prudence constante, la politique élevée ; si on se tient surtout en garde contre le penchant de tout parti occupant seul le pouvoir, qui est de tomber en coterie.

À vrai dire, tout est devenu difficile le jour où les deux hommes qui repré-