Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/468

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
464
REVUE DES DEUX MONDES.

légendes rimées de Jérôme de Prague : au moment où l’intérêt commence, il s’arrête ou tourne court.

Arrivé à la Pologne, M. Eichoff semblait avoir un champ plus vaste. La Pologne a nos sympathies, elle nous touche de près. Eh bien ! M. Eichoff ne trouve rien que ses listes chronologiques, accompagnées de banales épithètes. Arrivé même à M. Mickievicz, ce grand écrivain traduit par M. de Montalembert, loué à si juste titre par George Sand, et auquel le gouvernement vient de confier l’enseignement du slave au collége de France, M. Eichoff le traite de poète aimable. On peut juger par là de la portée et de l’étendue de la critique. — L’auteur n’avait pas su intéresser à la Pologne ; il est complètement insignifiant avec l’idiome letton. Le letton se parle dans la Prusse orientale, en Lithuanie, en Courlande ; mais comme là il n’y a pas, à proprement parler, de littérature, l’auteur se rejette sur l’histoire, et M. Eichoff a en histoire la même méthode qu’en littérature.

La quatrième partie du livre de M. Eichoff est la plus curieuse à coup sûr, car elle est composée de traductions. Ces poèmes nationaux de la Victoire de Zaboï, de l’Expédition d’Igor, de la Bataille de Kasivo, sont fort intéressans. Ce caractère sauvage, ces vanteries de soldat « nourri sur la pointe des lances, » et qui veut boire le Don avec son casque, ont quelque chose de frappant et de bizarre ; mais il était parfaitement inutile de rappeler, à cette occasion, Homère et ses héros. L’Iliade n’a rien de commun avec des chants à demi barbares. M. Eichoff a joint à ces légendes populaires l’Hymne à Dieu de Derzavin, hymne célèbre jusqu’en Orient, et qui à Pékin même est inscrit en lettres d’or dans le palais de l’empereur. Il est à regretter seulement qu’au lieu d’une interprétation littérale M. Eichoff ait cru devoir donner une traduction en vers de sa façon. Le texte de ces quelques morceaux était assez inutile à reproduire dans un ouvrage aussi sommaire ; mieux eût valu le remplacer par des notions bibliographiques, par des indications moins vagues. Si tout cela n’avait pas été traduit en allemand, on pourrait croire que M. Eichoff a directement lu le bohême, le polonais, le servien, le russe, mais ce système n’est pas nouveau. Il y a tel orientaliste à l’Académie des Inscriptions qui n’a jamais fait que des traductions de l’anglais.

Le livre de M. Eichoff n’est qu’une compilation, ce qu’il avoue presque, et une compilation médiocre. Il existe en Allemagne des travaux étendus sur ce sujet, travaux que l’auteur a abrégés et atténués. M. Eichoff est assez coutumier du fait. Tel de ses livres antérieurs n’est aussi qu’une pâle reproduction. Cela prouve seulement que M. Eichoff sait l’allemand. En résumé, il y avait un bel ouvrage à faire sur la littérature slave, et, après l’essai de M. Eichoff, je n’hésite point à dire que la situation est la même.


Ch. L.

V. de Mars.