Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/494

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
490
REVUE DES DEUX MONDES.

tant que modérée, c’en était fait pour long-temps de la paix du monde, et son sort était commis au double hasard des batailles et des révolutions. En proclamant son respect profond pour toutes les nationalités, la France se gardera donc d’enchaîner, pour elle-même comme pour autrui, ce droit de propre conservation contre lequel aucun autre ne saurait prévaloir. Elle reconnaîtra hautement qu’il existe pour toutes les sociétés politiques un rayon d’influence légitime, une zone dans laquelle il doit être interdit de les menacer impunément. C’est ainsi que toute occupation temporaire du Piémont par une grande puissance militaire, toute conspiration permanente en Suisse, toute restauration orangiste en Belgique, tout mouvement absolutiste ou anarchique en Espagne constituera, au profit de notre gouvernement, ce droit de la défense personnelle qu’il lui serait rigoureusement interdit d’abdiquer. La France a usé de ce droit envers la Belgique dès le mois d’août 1831, avant d’y être autorisée par le traité collectif du 15 novembre ; elle a menacé deux fois d’en faire à la Suisse une application délicate peut-être, mais assurément légitime, et le jour n’est pas éloigné où tous les bons esprits s’accorderont pour regretter qu’on ait reculé, au-delà des Pyrénées, devant une obligation qui ne résultait pas moins de nos intérêts envers nous-mêmes que de nos devoirs envers un peuple infortuné. La prédominance des idées françaises en Espagne est une nécessité trop évidente dans l’économie de la politique française pour que cette nécessité ne nous donnât pas le droit, et en même temps ne nous créât pas le devoir, d’offrir au parti qui les représente un point d’appui temporairement indispensable.

Le principe de l’indépendance des peuples se tempérera donc constamment par les intérêts de chacun d’eux ; et si le droit des nationalités opprimées à une résurrection politique est jamais solennellement proclamé dans le monde, leur solidarité n’en sera que plus authentiquement constatée. Que cette résurrection soit l’objet de toutes nos pensées, le but de tous les vœux comme de tous les efforts de la France. Que sans prétendre troubler l’ordre existant en Europe, en devançant le jour de conflagrations plus ou moins prochaines, le pouvoir et l’opinion énoncent l’immuable volonté de saisir toute occasion de redresser les vieilles iniquités commises au nom d’un principe dont le résultat définitif consiste à livrer le monde à l’influence exclusive de l’Angleterre et de la Russie, soit que ces deux puissances s’entendent pour le dominer, soit que leur rivalité doive ensanglanter l’avenir. Abdiquons les souvenirs d’une gloire stérile devant la gran-