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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

enfermé dans chacun des êtres où il réside, apparaît comme s’il était multiple. »

Non-seulement l’esprit divin produit l’apparence des êtres par la manifestation de sa pensée, mais encore il est leur pensée, il perçoit en eux[1]. Ainsi la perception, l’être percevant, l’objet perçu, ne sont que des reflets divers de l’être unique, de l’esprit absolu, de Vichnou ; Vichnou seul existe, il est tout, il est au-dessus et au-delà de tout. L’essor métaphysique devait être entraîné par le besoin d’unité jusqu’à ces conclusions, extrêmes limites des spéculations humaines.

On s’étonnera moins, d’après ce qui précède, des diverses cosmogonies que contiennent les Pouranas, et dans lesquelles se retrouve toujours, à travers les jeux d’une imagination gigantesque, le principe de l’idéalisme indien.

« D’abord était l’être absolu, l’être divin (Bhâgavat). Cet être existait seul, sans qu’aucun attribut le manifestât[2]… Alors il regarda et ne vit rien qui pût être vu, parce que lui seul était resplendissant, et il songea qu’il était comme s’il n’était pas, parce que son regard était éveillé et que son énergie sommeillait.

« Or, l’énergie de cet être doué de vue, énergie qui est à la fois ce qui existe et ce qui n’existe pas, c’est là ce qui se nomme maya, et c’est par elle que l’être qui pénètre toutes choses créa l’univers. »

Puis les diverses manifestations de l’être divin par maya (l’illusion) s’engendrent l’une l’autre. Ici s’ouvre un champ illimité pour la subtilité et la richesse de la fantaisie indienne. L’énumération des êtres créés, l’ordre de leur création, changent dans les divers systèmes cosmogoniques contenus dans le même Pourana ; mais certaines idées se reproduisent dans plusieurs de ces poèmes. Telle est cette conception essentiellement idéaliste qui fait naître les objets extérieurs du moi interne. Ainsi de la personnalité transformée naissent le cœur et les organes des sens[3]. D’autre part, le génie hindou est également propre à réduire la réalité en abstraction et à donner aux abstractions de la réalité. Il en résulte que tout se mêle dans les cosmogonies, et il arrive, ce qui est tout-à-fait extraordinaire pour nous, que les qualités, devenues des êtres réels, enfantent les substances. Ainsi, la molécule du son produit la molécule de l’éther ; de l’attribut tangible

  1. Bhâgavata Purâṇa, verset 32.
  2. id., pag. 327.
  3. id., pag. 329, 529.