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LE BHÂGAVATA PURÂNA.

« Absorbant son cœur dans son intelligence purifiée, celle-ci dans le principe qui voit en nous, celui-ci dans sa propre ame, identifiant son ame avec l’ame universelle, que le sage, plein de fermeté, en possession du repos absolu, s’abstienne de toute action. »

La perfection de l’état d’yoga est décrite ainsi[1] : « Quand, éloigné de tous les objets, le cœur ne connaît plus rien où se porter, et qu’il s’est détaché de tout, il disparaît aussitôt, semblable à la flamme qui s’éteint ; dans cet état, l’homme, désormais à l’abri du courant des qualités, voit sous son regard même son esprit qui est unique et dont il ne se distingue plus.

« Ainsi absorbé par cet anéantissement final du cœur au sein de la suprême majesté, l’homme, placé en dehors du plaisir et de la peine, rapporte l’origine de cette double imperfection à la personnalité, à cette cause d’action qui n’existe réellement pas, parce qu’il a saisi dans son propre sein la substance de l’esprit suprême.

« Étant ainsi parvenu à reconnaître ce qui le constitue lui-même, le Siddha parfait ne fait plus aucune attention à son corps ; soit que, sous l’empire du destin, ce corps vienne de se lever, et qu’il soit debout, soit qu’il ait quitté ou repris sa place, il ne le distingue pas plus qu’un homme aveuglé par les vapeurs d’une liqueur enivrante ne remarque l’état du vêtement qui enveloppe ses reins.

« Le corps cependant, agissant sous l’empire de la destinée, continue de vivre avec les sens tant que dure l’action qu’il a commencée ; mais l’homme qui, parvenu au terme de la contemplation, a reconnu la réalité, n’a plus de contact avec ce corps, qui, comme tout ce qui en dépend, n’est pour lui qu’un vain songe. »

On conçoit qu’à un tel point de vue la suprême félicité pour l’ame soit d’être délivrée de l’existence, du moins de l’existence individuelle qui l’emprisonne dans un corps, et de se réunir intimement au principe divin. Cette résorption de l’ame dans son principe porte le nom sacramentel de nirvana, qu’il ne serait pas exact de traduire par anéantissement ; il exprime l’acte mystérieux par lequel l’ame s’affranchit de l’existence temporelle, du monde sensible, de l’illusion des choses, et s’identifie à l’être absolu.

Cette identification est le degré le plus élevé de la béatitude à laquelle l’homme puisse aspirer ; c’est le plus grand bienfait que Vichnou accorde à ses favoris. Le Vichnou-Purâna ne se contente pas de retracer dans une peinture hideuse de vérité les misères de l’en-

  1. Bhâgavata Purâṇa, pag. 551.