Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/548

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
544
REVUE DES DEUX MONDES.

troduisis, dit-il, cet homme unique en présence du roi Édouard, qui le reçut d’une manière aussi honorable que polie. Après être convenus ensemble de ce qui devait être fait, Raymond Lulle se montra extrêmement satisfait de ce que la divine Providence l’avait rendu savant dans un art qui lui permettait d’enrichir le roi. Il promit au prince de lui donner toutes les richesses qu’il désirait, sous la condition seulement que le roi irait en personne faire la guerre aux Turcs, que les trésors ne seraient employés qu’aux frais qu’occasionnerait cette entreprise, et que sans égard pour aucun orgueil humain, cet argent ne servirait jamais à intenter de querelles aux princes chrétiens. Mais, ô douleur ! ajoute le pieux abbé, qui ne fut pas moins dupe que son ami Lulle en cette occasion, toutes ces promesses furent indignement violées. »

Jean Cremer donna d’abord une cellule à Raymond, dans le cloître de l’abbaye de Westminster, d’où, dit-on, il ne se retira pas en hôte ingrat, car long-temps après sa mort, en faisant des réparations à la cellule qu’il avait habitée, l’architecte chargé de ce travail y trouva beaucoup de poudre d’or, dont il tira un grand profit.

Mais son royal patron, impatient de voir les résultats de la science de Raymond, lui donna un logement dans la Tour de Londres. La simplicité d’ame du missionnaire ne lui permit pas d’abord de s’apercevoir de la précaution maligne que couvrait cette politesse royale, et il se mit à faire de l’or, dont on battit monnaie. Jean Cremer affirme le fait, et Camden, dans ses Antiquités ecclésiastiques, dit précisément que les pièces d’or nommées nobles à la rose, et fabriquées au temps d’Édouard, sont le produit des opérations chimiques que Raymond Lulle fit dans la Tour de Londres.

Lorsque cet important travail fut terminé, et que Raymond put reprendre le cours de ses études habituelles, il ne tarda pas à s’apercevoir que son logement à la Tour était une prison, et que le roi le retenait pour satisfaire sa cupidité. Malgré ses soixante-dix-huit ans, il rassembla tout son courage, et au moyen d’une barque s’étant échappé par la Tamise, il parvint à s’embarquer sur un bâtiment qui le conduisit à Messine. C’est en cette ville qu’il composa son livre des Expériences (Experimenta), où se trouve ce passage, faisant allusion à sa captivité et à la mauvaise foi du prince anglais : « Nous avons opéré

    dans le Museun hermeticum, in-4o, Francfort, 1677-78. — Camden, dans ses Monumens ecclésiastiques donne aussi des détails sur le séjour de Raymond Lulle en Angleterre.