Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/593

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
589
EXPÉDITION DE GOMEZ.

marquaient qu’il avait très-bonne mine et qu’il était buen mozo, bel homme, ce qui n’est pas sans importance en Espagne, même pour avoir des succès militaires. À la suite de ces troupes régulières et parfaitement disciplinées, marchaient pêle-mêle environ deux mille hommes mal armés et mal vêtus, appartenant aux diverses provinces que Gomez avait traversées. On y voyait des Castillans au manteau sale et rapiécé, au regard sévère et grave, des Navarrais gigantesques avec leur veste courte et leur berret écarlate, des Valenciens légers et rieurs avec leur tunique grecque semblable à la fustanelle des Albanais, et leur manteau bariolé de mille couleurs transversales jeté négligemment sur l’épaule droite ; des Andaloux avec leur veste ou smarra de peau d’agneau, leurs culottes de peau de daim, leurs guêtres richement ornées, leur chapeau pointu, et l’indispensable cigarette à la bouche. Des vivandières, appartenant aussi à toutes les populations de la Péninsule, allaient et venaient au milieu de cette foule bigarrée, tumultueuse, que l’attrait du pillage avait beaucoup plus attirée que l’amour de la légitimité, et que Gomez avait eu plusieurs fois besoin de châtier.

Deux pierriers montés sur des mulets composaient l’artillerie. Quant au matériel, il suivait aussi sur de longues files de mulets chargés à l’espagnole, c’est-à-dire portant des paquets attachés au corps par des cordes de sparterie. De grandes galères, chars à quatre roues excessivement larges, évasés et couverts par des cerceaux qui supportent une estera ou natte de jonc, ployaient sous le poids des armes, des meubles, des outres de vin, des matelas, des tapis, des mille objets variés qui composaient le butin de l’expédition. D’autres chars transportaient les blessés et les malades. Tout cet immense convoi encombrait les routes, défilait avec lenteur et se prolongeait à une grande distance à la suite de la colonne en marche. Il est inconcevable que les généraux constitutionnels n’aient pas atteint plus souvent une division qui traînait après elle un pareil bagage, et qui a eu souvent à traverser des défilés où elle devait former une ligne de plusieurs lieues de longueur.

La seconde marche de Gomez en Andalousie ne fut qu’une fuite continuelle ; il chercha d’abord un asile dans le pays montueux et pittoresque qu’on appelle la Serrania de Ronda. Il était extraordinaire qu’il n’y eût pas pensé plus tôt pour en faire le siége du soulèvement qu’il méditait, mais il était alors trop tard. La Serrania de Ronda était la contrée de l’Andalousie la mieux disposée par la nature pour devenir une seconde Navarre. Des défilés étroits, des