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L’explication vraie de ces situations en apparence anormales n’est pas difficile. Nous aimons beaucoup la paix : c’est bien en soi, et c’est fort naturel après une si longue et si brillante période de guerres et de combats ; mais si nous aimons la paix, n’oublions pas en même temps que les autres puissances, je n’en excepte pas une seule, redoutent extrêmement la guerre. Si nous ne tempérions pas notre amour de la paix par cette considération, par cette vérité irrécusable, nous pourrions en nous égarant dans nos pronostics, suivre une ligne fâcheuse dans notre politique.

Sous l’empire de ces sentimens pacifiques, de cette sagesse, il s’est formé entre les puissances une sorte d’accord tacite qui empêche beaucoup de collisions, qui prévient beaucoup de malheurs. On s’est dit que, dans une certaine mesure, chacun pourrait satisfaire ses fantaisies sans exciter d’orage. Comme la paix absolue est chose impossible ici-bas, on a quelque peu élargi le cercle des dissentimens qui ne sont pas une rupture, des faits déplaisans qui ne sont pas la guerre. C’est comme si entre particuliers on diminuait le nombre des mots et des gestes qui, selon l’opinion du monde (nous ne voulons pas nous brouiller avec la loi), rendent nécessaire un duel.

En partant de ces données, nous aurions peut-être agi habilement si nous avions fait passer à Méhémet-Ali un millier d’artilleurs. Ses canons auraient été mieux pointés, les populations chrétiennes ne se seraient pas si facilement insurgées, les Égyptiens n’auraient pas perdu courage, la résistance aurait été mieux proportionnée à l’attaque, les succès et les revers se seraient mieux balancés, et l’hiver venant à suspendre les hostilités avant tout résultat définitif, on aurait sans doute repris les négociations et conclu un arrangement équitable et honorable, arrangement sans lequel, quoi qu’on fasse, la paix du monde sera toujours en danger ; car, qu’on le veuille ou non, il y a des bornes à tout, même à l’amour de la paix. Les bornes, chacun de nous les retrouve en lui-même ; elles peuvent être plus ou moins rapprochées ; elles existent pour tous. Une grande nation, l’être collectif les aperçoit souvent là où les individus ne les aperçoivent pas encore.

Mais laissons ces projets posthumes, ces hypothèses rétrospectives, qu’il serait plus qu’inutile aujourd’hui d’approfondir.

La question, telle que les évènemens l’ont faite, est dans ce moment toute entière devant les chambres. Nous l’avons dit il y a long-temps, et avant les dernières vicissitudes ministérielles, nous attendons avec confiance le jugement des chambres et nous sommes disposés à l’accepter comme le verdict du pays.

La France attend une discussion grave, solennelle, une discussion vive et prudente, énergique et mesurée. Si par malheur les débats ne répondaient pas à la juste attente du pays, s’ils s’écartaient du but par leur petitesse ou par leur violence, tous nos hommes politiques, tous indistinctement, en sortiraient meurtris et rabaissés. Il n’y aurait profit pour personne.

Évidemment les chambres sont en présence de trois écueils : nous avons la