Page:Revue des Deux Mondes - 1840 - tome 24.djvu/610

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
606
REVUE DES DEUX MONDES.

homme élégant, M. de Candia par exemple) ; mais au théâtre italien on fait de la musique pour la voix seulement et pour le chanteur, tandis que cette musique synthétique de l’Opéra comprend tout, la voix, le geste, l’expression dramatique, tout, jusqu’au costume. On ne s’avisera jamais d’aller chercher le caractère druidique dans la Norma de Bellini, ou l’esprit des républiques italiennes dans la Lucrèce Borgia de Donizetti ; mais écoutez les gens versés dans l’interprétation philosophique d’une partition, les mystagogues chargés de déchiffrer les hiéroglyphes musicaux ; ils vous diront que Robert-le-Diable, c’est le moyen-âge, c’est la féodalité, c’est le catholicisme. Je le veux bien assurément, toutes ces belles choses doivent se trouver là, puisque tant d’hommes les y voient ; mais alors qu’on nous les rende.

Rossini écrivait en Italie après la première représentation des Puritains : « Je ne vous parle pas du fameux duo entre Lablache et Tamburini ; vous avez dû l’entendre de Bologne. » Que dirait le grand maître s’il eût assisté au festival de M. Berlioz ? Nous pensons qu’il en rirait encore. Jamais séance plus comique ne fut donnée à des amis assemblés (le mot de public ne saurait convenir ici) : tout le monde riait, les violons, les hautbois et les trompettes derrière leurs pupitres, les assistans dans leurs stalles. Cette musique des morts peut se vanter, au moins, d’avoir fait rire aux larmes les vivans. Quel compte rendre d’une pareille équipée ? que dire de ces affiches hautes de six pieds, de ces musiciens entassés jusqu’aux frises, de cette montagne d’ophycléides et de trombones vomissant d’effroyables cataractes de sons ? de ce pêle-mêle musical, de ce tohu-bohu que l’auditoire accueille avec un sourire de persifflage et qu’il salue en sortant d’un bâillement olympien ? Tout cela, au fond, c’est Hoffmann pris au sérieux. On reproche à M. Berlioz ses élucubrations extravagantes, on lui en veut pour ses orchestres gigantesques et ses fanfares de carrefours ; mais à cela M. Berlioz pourrait admirablement répondre que la musique n’a rien à voir en son affaire. Lorsque M. Berlioz placarde ses affiches sur toutes les murailles, lorsqu’il dresse ses échafaudages, M. Berlioz travaille à mettre en scène les contes fantastiques d’Hoffmann. S’il amoncelle jusqu’aux cieux les contrebasses et les ophycléides, les cimbales, les tambours et les chapeaux chinois, c’est pour donner la vie et la forme aux hallucinations du sublime conteur de Berlin. La musique de M. Berlioz est une musique de critique ; la prendre pour ce qu’elle a l’air de se donner serait le comble du ridicule ; autant vaudrait demander de la réalité au Pot d’or, à la Biographie de Kreissler ou du Chat Murr. Le public ne nous semble pas encore avoir compris tout ce qu’il y a d’ironie dans ces trombones qui hurlent à tout propos, de dérision aimable et fine dans ces grosses caisses qui battent sans désemparer. Et voilà, selon nous, ce qui fait que le public ne goûte pas M. Berlioz, et s’obstine à lui contester la gloire des grands maîtres. Lorsque le public aura une fois compris que ce n’est point là un genre que l’auteur de tant de symphonies et d’opéras fantastiques prétend fonder, mais la critique impitoyable d’un genre désastreux ; lorsqu’on saura, à n’en pas douter que M. Berlioz donne ses élucubrations comme Hoffmann ses