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REVUE. — CHRONIQUE.

pas lui faire injure en le classant auprès de sujets distingués dont la scène s’honore. M. Liszt traduit avec ses doigts l’inspiration des maîtres absolument comme Mlle Pixis, ou toute autre cantatrice, le fait avec son gosier. Quant à sa nationalité hongroise, dont on peut, du reste, se convaincre au style de sa lettre, personne ne songe à la lui contester, bien qu’il y ait quelque chose de singulier dans ces fastueuses démonstrations patriotiques chez des hommes qui ne se contentent pas de venir nous demander des applaudissemens et des couronnes, mais prétendent encore se mêler à tous nos mouvemens et vivre avec la France dans une communion fraternelle, comme ils disent. Serait-ce donc qu’il suffit d’être pianiste pour avoir toujours là une nationalité dont on se pare selon les circonstances, et qu’on endosse à sa guise ? « Je suis Français, voyez mes passions philosophiques et sociales ; je suis Hongrois, voyez mon sabre. Non, monsieur Liszt, vous n’êtes ni Français ni Hongrois, vous êtes, comme tous les virtuoses, de tous les pays où l’immortelle voix de la mélodie est comprise. Aujourd’hui c’est le grand duc de Toscane qui vous fête, demain ce sera la reine d’Angleterre, un autre jour l’impératrice de Russie, qui, après une de ces magnifiques séances où vous passez, par votre art merveilleux, de l’inspiration sauvage et fougueuse de Beethoven, aux mélancoliques sérénades de Schubert, vous dira dans son ravissement ces paroles charmantes : « Comment, après l’orage de tout à l’heure, avez-vous pu trouver encore ce délicieux clair de lune ? » Et vous amoncelez tous ces trophées, vous mêlez toutes ces couronnes, et vous avez raison, car votre art, à vous, n’a point de nationalité, car il ne parle pas une langue, mais les langues, ainsi que dit saint Paul, que vous connaissez bien. Oui, monsieur Listz, à défaut de vos sentimens philosophiques et religieux, le piano eût fait de vous l’homme de l’humanité ; c’est pourquoi nous persistons à croire que l’hommage de Pesth est une chose beaucoup moins nationale que vous ne vous l’imaginez, et que ces magnats dont vous parlez étaient des dilettanti déguisés, qui eussent mieux fait peut-être de vous donner quelque magnifique piano, et de réserver pour une autre occasion le sabre de Mathias Corvin ou de Zriny.


Essai sur Parménide d’Élée, par M. Fr. Riaux. — Dès qu’on a étudié quelque peu l’histoire de la philosophie ancienne, on entrevoit, on devine, au moins d’une manière générale et sommaire, l’importance des doctrines éléatiques. Long-temps méconnues, ou plutôt mal interprétées, elles n’ont été définitivement mises dans leur vrai jour que par les ingénieuses et profondes restitutions qu’a tentées M. Cousin, à propos de Xénophane et de Zénon. Encouragé par l’exemple du maître, M. Riaux à son tour tente de porter la lumière sur le point le plus élevé, mais aussi le plus difficile, le plus ardu, de l’éléatisme, sur les fragmens de Parménide. Ce travail spécial épuise le sujet dans tous les sens ; c’est une reconstruction, aussi complète qu’elle pouvait l’être, de la biographie, du système, de la polémique, qui se rapportent à l’auteur du περὶ φύσεως.