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REVUE. — CHRONIQUE.

solue. Sa doctrine, en précisant la donnée idéaliste de Pythagore, avait enfin l’idée de l’unité sous sa forme propre comme idée, et non comme ombre dans la science et dans la dialectique. Mais l’enseignement de Xénophane était encore imprégné des couleurs et des souvenirs de l’Ionie. Sa théorie conservait, pour ainsi parler, quelque chose de double ; c’était un mélange, non une doctrine d’une seule pièce. Parménide, dès son premier pas dans la carrière qu’il devait parcourir avec tant d’éclat et de hardiesse, déclara son divorce avec les données des sens, avec les croyances du sens commun. Il prétendit que les réalités extérieures ne sont que des apparences, des chimères, et que la vérité ne se trouve que dans les conceptions de la raison. Le tort de la plupart des historiens de l’école d’Élée est de n’avoir pas osé donner au système de Parménide son véritable caractère, et d’avoir craint de le montrer aussi exclusif qu’il l’était. De peur de le représenter comme une doctrine extravagante, ils l’ont dénaturé, ils l’ont faussé. M. Riaux restitue à ce système son véritable point de départ et son criterium exclusivement rationnel, et en cela il a parfaitement raison. Pour être juste envers une théorie, il ne faut pas craindre d’en pénétrer les profondeurs et même les abîmes ; il ne faut ni en déguiser les côtés faibles, ni en dérober les exagérations sous le voile indulgent des commentaires. C’est en procédant avec suite et fermeté, comme l’a fait M. Riaux, qu’on voit Parménide poser d’abord l’unité absolue de l’être, et en tirer successivement, par une dialectique serrée et subtile, la continuité, l’indivisibilité, puis l’immobilité absolue de l’être dans l’espace et dans la durée, la perfection absolue, et enfin l’identité de l’être et de la pensée de l’être.

Dans sa physique (à laquelle, d’ailleurs, il n’attache aucune certitude, aucun caractère scientifique), Parménide admettait deux principes : d’un côté le feu ou la lumière, de l’autre la nuit ou la matière épaisse et lourde ; puis différens cercles composent le ciel, et la Nécessité règne en souveraine au milieu des trois parties de l’univers. On remarque dans cette cosmologie de très curieuses opinions au sujet de la voie lactée, des tremblemens de terre, et surtout au sujet de l’origine du genre humain, de l’ame et de l’identité de la sensation et de la pensée.

Après une exposition étendue du système de Parménide, il importait de suivre les traces et l’influence de ce système, d’abord dans l’école d’Élée, ensuite dans toute l’antiquité. C’est ce qu’a fait M. Riaux dans la troisième partie de son Essai, qui n’est ni la moins curieuse, ni la moins importante. On y distingue, par exemple, sur Mélissus des recherches qui révèlent, pour la première fois, la véritable valeur de la tentative que fit ce philosophe pour soustraire l’éléatisme aux attaques de l’empirisme. Mais ce qui est plus important, c’est la critique de Parménide par Platon et par Aristote, par Platon surtout.

Le fondateur de l’académie, pour renverser la sophistique, remonta jusqu’aux systèmes où les sophistes étaient allés chercher des armes au profit de leur scepticisme ; c’est de la sorte qu’il fut conduit à l’examen de l’empirisme et de l’éléatisme. Cette partie de la philosophie platonicienne, qui peut