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SCHILLER.

lui une vive impression ; les œuvres de critique et les drames de Lessing furent une de ses études favorites. Un jour, il entendit réciter à un de ses professeurs un passage de Shakspeare, et ce passage l’ébranla jusqu’au fond de l’ame. Dès-lors, il n’eut point de repos qu’il ne se fût procuré les œuvres complètes du poète anglais ; un de ses amis lui donna la traduction de Wieland ; il la lut avec avidité, et la relut encore, et y revint sans cesse. Ses amis disent qu’elle agit puissamment sur lui, et décida de sa vocation. Le jugement qu’il portait plus tard sur ce grand poète est curieux à noter. « Lorsque, tout jeune encore, j’appris, dit-il, à connaître Shakspeare, je fus révolté de la froideur, de l’insensibilité qui lui permettent de plaisanter au milieu du plus grand enthousiasme. Habitué par l’étude des nouveaux poètes à chercher de prime-abord le poète dans ses œuvres, à rencontrer son cœur, à réfléchir conjointement avec lui sur le sujet qu’il traite, c’était pour moi une chose insupportable de ne pouvoir ici le saisir nulle part : il était déjà depuis plusieurs années l’objet de mon admiration, de mes études, et je n’aimais pas encore son individualité. Dans ce temps-là, je n’étais pas encore capable de comprendre la nature de première main. »

Outre ces œuvres de poète, Schiller lisait aussi assidûment qu’il le pouvait des livres d’histoire, entre autres Plutarque, des livres de philosophie, et il étudiait sa langue dans la traduction de la Bible de Luther, cet admirable monument de la langue allemande.

Ainsi, toujours séduit par l’attrait des idées poétiques et détourné à chaque instant des études spéciales qui lui étaient prescrites, Schiller finit par vouloir aussi prendre part à cette vie littéraire qui lui apparaissait de loin, à travers les barrières de l’école, comme une vaste et riante contrée à travers les fenêtres d’une prison. Il s’associa avec quelques-uns de ses camarades qui avaient les mêmes penchans que lui, et ils formèrent une sorte de concile académique où l’on discutait gravement sur les questions d’art et de poésie et sur les titres réels des écrivains les plus illustres. Dans leur jeune et naïve ambition, les membres de ce petit congrès n’aspiraient à rien moins qu’à sortir de l’école avec des œuvres qui étonneraient le monde. L’un d’eux devait écrire un roman à la Werther, un autre un drame larmoyant, un troisième une tragédie chevaleresque dans le genre de Goetz de Berlichingen. Quant à Schiller, il cherchait un sujet de pièce dramatique, et il disait parfois en riant qu’il donnerait bien son dernier habit et sa dernière chemise pour le trouver. Il crut le découvrir dans le récit du suicide d’un étudiant, et écrivit un drame intitulé