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l’homme dédaignait son semblable ou ne l’aimait qu’en apparence et en vue de Dieu. Tout sera redressé dans l’ordre moral dès que l’homme s’aimera soi-même et aimera les autres. Et quel est le moyen le plus sûr d’arriver à ce grand résultat ? C’est de ne pas croire à une autre vie hors de la terre.

Le lecteur est sur la trace de l’opinion fondamentale qui sert de base à l’ouvrage de M. Leroux. Qu’on veuille bien suivre ceci : Il y a deux ciel, un ciel absolu, un ciel relatif ; un ciel permanent, un ciel non permanent. Le ciel absolu et permanent embrasse le monde entier, le ciel relatif et non permanent est la manifestation du premier dans le temps et dans l’espace. Ne demandez pas où est le premier ciel, le ciel absolu, car M. Leroux vous répondra qu’il n’est nulle part, dans aucun point de l’espace, puisqu’il est l’infini. Il ne faut pas non plus que votre curiosité vous pousse à vouloir savoir quand le ciel se montrera ; il ne se montrera à aucune créature. Il est, voilà tout : vous n’en pouvez savoir davantage ; mais vous devez croire que ce premier ciel se manifeste de plus en plus dans les créatures qui se succèdent. Tout le mal vient de ce que jusqu’à présent les hommes n’ont pas compris la distinction des deux ciel. Ils ont cru que sur la terre ils n’étaient pas du tout dans le ciel : ils y étaient un peu. Il ne faut pas nous imaginer que par la mort nous irons d’un bond dans un paradis ; non, mais nous devons renaître de nouveau à la vie avec un degré de plus d’intelligence, d’amour et d’activité. M. Leroux veut que l’homme fasse son paradis sur la terre ; il lui défend d’aspirer à une autre vie hors de ce monde ; il dit à l’homme que la vie future ne peut être que la continuation de la vie présente dans un autre point du temps. Vous parlez des astres, s’écrie M. Leroux ; c’est la terre qui un jour rejoindra les astres. Ce n’est pas l’homme qui, sans l’humanité et sans la terre, ira dans les astres. On ne peut prêcher l’amour du terre à terre avec plus de fanatisme, et il n’y a pas moyen de dire ici à M. Leroux : Sic itur ad astra !

Qui n’a pas par l’imagination plongé dans les abîmes de l’infini ? Qui n’a pas eu sur une autre vie ses spéculations et ses rêves ? Mais ces poétiques élans échappent à la démonstration, et jusqu’à présent il n’est guère arrivé à un penseur de vouloir y trouver les principes d’un système. Ce sont, pour ainsi dire, des questions réservées, sur lesquelles chacun prend le parti qui le séduit le plus. Nous ne croyons plus à l’enfer et au paradis comme on y croyait au moyen-âge. Les tragiques et sombres croyances qui inspirèrent Dante ont disparu, et