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DE L’HUMANITÉ.

Saint-Simon sont les corollaires de la pensée de Pythagore. M. Leroux ne s’aperçoit pas qu’il tombe dans les mêmes préoccupations erronées qui dictèrent à Jamblique et à Porphyre leur biographie de Pythagore. Ces néo-platoniciens voulaient aussi trouver dans Pythagore l’origine de leurs propres doctrines et du mysticisme oriental qu’ils opposaient aux progrès du christianisme naissant ; mais la saine critique et le bon sens du genre humain ont toujours résisté à ces caprices qui dénaturent le passé dans l’intérêt d’un parti ou d’une secte. Enfin M. Leroux veut retrouver ses opinions dans Apollonius de Tyanes. Cet illustre Cappadocien, qui voulut reformer le paganisme comme Zoroastre avait reformé la religion des Perses, avait, comme on le sait, commencé son initiation philosophique par les doctrines de Pythagore. Après un long séjour dans le temple d’Esculape en Cilicie, et un silence de cinq ans, il avait voyagé, il était allé demander aux brahmanes les derniers arcanes de la science ; il avait passé par Ninive, il séjourna vingt mois à la cour du roi des Parthes ; enfin il arriva dans l’Inde. Personne n’ignore que la pensée qui inspirait Apollonius fut de puiser aux sources les plus vives de la sagesse orientale des moyens de régénération pour le polythéisme. Effort impuissant, mais noble tentative ! Quoi qu’il en soit, Apollonius fut le disciple du brahmanisme antique. M. Leroux remarque que la doctrine contenue dans le fragment qu’il cite, non-seulement rappelle les Védas, mais porte des traces évidentes de l’école du sankhya et du bouddhisme. Or, si Apollonius pense absolument de même que M. Leroux, il suit que ce dernier n’a pas d’autre philosophie que le panthéisme indien.

Mais à ce compte, où est la nouveauté du dogme que nous apporte l’auteur de l’Humanité ? Il est sans doute fort glorieux pour les penseurs profonds et les grandes écoles qui l’ont précédé d’avoir partagé les opinions qu’il devait lui-même avoir plus tard ; mais, comme il y a de leur côté une priorité incontestable, l’originalité du dernier venu pourrait rencontrer des incrédules. À force de vouloir trouver dans l’histoire du monde et de la science des soutiens et des patrons pour les principes qu’il affectionne, M. Leroux ne s’est pas aperçu qu’il disparaissait lui-même dans l’escorte illustre qu’il se donnait.

Et puis, autre inconvénient, si dès la plus haute antiquité on a pensé ce qu’on pense aujourd’hui au XIXe siècle, où sera donc le progrès ? On le détruit en le mettant à l’origine des temps et des choses, et, pour le faire trop triompher dans le passé, on le bannit du présent. Voici Moïse qui comparaît à son tour dans cette évocation de