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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

On a depuis fort abusé de la prime, chaque grand auteur l’a exigée ; mais dans le principe, comme toutes choses, elle avait un sens.

Je conçois que la Comédie-Française, à cette époque, n’ait pas fait les mêmes frais pour s’acquérir M. Scribe, qu’elle n’avait jamais vu de près ; mais du moins, et dans la mesure qui lui était convenable, s’est-elle, je ne dis pas offerte à lui, mais rendue avenante et sensible et accessible. Et ici je ne ferai qu’exprimer une idée, un regret qu’on me suggère, mais que je sais partagé par les personnes les mieux entendues de la Comédie-Française elle-même[1]. Il faut remonter plus haut. Aux approches de la révolution de 89 et dans les années du Directoire, le Théâtre-Français se montrait beaucoup moins strict qu’on ne l’a vu depuis sur la dignité des genres. On se retranchait moins habituellement dans l’ancien répertoire ; les pièces nouvelles, les noms d’auteurs nouveaux abondaient ; le chant d’opéra-comique osait s’y faire entendre. L’esprit qui circulait, c’était un peu celui de Chérubin et de Figaro. L’empereur vint, et, au théâtre comme ailleurs, la hiérarchie fut relevée. L’ancien répertoire, servi par d’admirables acteurs, sembla plus que suffire. Le public, dans sa reprise d’enthousiasme, en voulait, les acteurs tout naturellement y insistèrent ; ce leur était chose plus facile. La coutume s’établit. Il en résulta que les auteurs nouveaux furent moins encouragés, moins agréés. Cela devint surtout visible dans la comédie ; les plus spirituels, et les plus inventifs allèrent ailleurs, aux succès faciles ; mais ils s’y éparpillèrent, La Rochefoucauld l’a dit : « Les occasions nous font connaître aux autres, et encore plus à nous-même. » Combien d’aperçus comiques ainsi dépensés que l’étude et un lieu meilleur auraient pu agrandir ! M. Scribe seul s’en tira, à force de talent.

Le traité qui liait celui-ci au Gymnase permettait toutefois de travailler pour les théâtres dont la rivalité n’était pas directe, et par conséquent pour le Théâtre-Français. Pressentant que l’air du lieu n’était pas favorable, que le rebut et le dédain pourraient bien accueillir sa tentative, il resta long-temps sans user de la permission : car il faut peu compter comme début Valérie (1822), qui fut surtout un succès d’actrice, et qu’on arrangea exprès pour Mlle Mars. Ce n’est qu’après sept ans de règne populaire et incontesté au Gymnase qu’il aborda cette redoutable scène avec le Mariage d’argent (décembre 1827), « qui est enfin la comédie complète, a dit M. Villemain dans cette piquante réponse de réception, la comédie en cinq actes,

  1. M. Regnier, M. Samson, par exemple.