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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

M. Scribe n’en a saisi et reproduit les traits distinctifs tout en nuances, l’assortiment de positif, d’intrigue et de jouissance, l’industrialisme orné, élégant. Homme heureux, il a compris de bonne heure que ce n’était plus le temps de l’élévation ni de la grande gloire, et il s’est mis à le dire sous toutes les formes les plus agréables, les plus flattées. Il y a, dans les situations qu’il offre, une gentillesse d’esprit et, le dirai-je ? de sensualité sans libertinage. Ces petites pièces servent à merveille d’accompagnement, de chatouillement et de conseil même aux gens de nos jours dans leurs propres petites passions. On raconte qu’au sortir du Mariage d’inclination, une jeune fille, se jetant tout d’un coup dans les bras de sa mère, lui avoua qu’elle devait se faire enlever le lendemain par quelqu’un qu’elle aimait. Et le lendemain la mère et la fille ensemble allaient remercier M. Scribe de sa leçon, de son triomphe. — « Nos amours ont été très courts et très purs, madame ; vous m’avez très peu donné, vous m’aviez même assez peu promis. Je n’ai donc pas à me plaindre, et vous pouvez porter très haute et très fière votre tête toujours charmante. Mais une fois pourtant, une seule fois, vous m’avez de vous-même saisi tout d’un coup et pressé bien tendrement la main ; et c’était en loge au Gymnase, à la fin d’une Faute. » J’arrache cette page d’aveu du calepin d’un ami. — Oui, c’est bien là, c’est à quelqu’une de ces jolies pièces qu’on va de préférence le soir où l’on n’est ni trop égayé, ni trop guindé ; après un dîner où l’on n’était pas seul, où l’on n’était pas plusieurs, on va voir la Quarantaine. Et l’on en sort pas trop ému, pas trop dépaysé, comme il sied à nos passions d’aujourd’hui, à nos affaires.

Mais voilà que je parle de ces impressions comme du présent, et c’est déjà du passé : le monde, pour qui peignait M. Scribe au Gymnase, était celui des dix dernières années de la restauration, monde depuis fort dérangé. Le moment d’entière fraîcheur pour le genre ne dura que tant que Madame donna au théâtre son nom.

On dira, et on l’a dit, qu’il n’y a rien de littéraire dans le genre, qu’il ne saurait y avoir rien de sérieusement vrai dans une comédie qui s’entremêle et se couronne par le couplet convenu, par le flon flon militaire ou sentimental :

Du haut des cieux, ta demeure dernière,
Mon colonel, tu dois être content[1]

  1. Michel et Christine, scène XV.