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SCHILLER.

les règlemens d’une école et la volonté d’un souverain ; enfin il allait voir jouer ses deux derniers drames, et il en attendait un nouveau succès et un nouvel encouragement pour l’avenir. Déjà chaque jour, dans la maison de Dalberg et dans celle du libraire Schwann, il goûtait le fruit de ses premières œuvres ; il se trouvait sans cesse en contact avec des hommes distingués, qui aimaient à le voir et qui rendaient hommage à son génie.

Au commencement de 1784, Fiesque fut représenté, mais ne produisit pas l’effet qu’on en espérait. Schiller dit que le public n’avait pas compris cette pièce : « La liberté républicaine, écrivait-il, est ici un vain son, un mot vide de sens. Dans les veines des habitans de ce pays, il n’y a point de sang romain. » Ce drame obtint plus de succès à Francfort et à Berlin, où il fut joué quinze fois dans l’espace de trois semaines. Il eut aussi un assez grand retentissement en France à une époque où le mot de république était sur toutes les lèvres et agitait tous les esprits. Le Moniteur de 1792 l’appelait le plus beau triomphe du républicanisme en théorie et dans le fait. Fiesque valut à Schiller le titre de citoyen français. Lorsque son brevet lui parvint, il remarqua, dit M. de Barante, que « de tous les membres de la convention qui l’avaient signé, il n’y en avait pas un qui depuis n’eût péri d’une mort violente, et le décret n’avait pas trois ans de date ! Ce n’était pas ainsi qu’il avait compris la liberté et la république[1]. »

Trois mois après la représentation de Fiesque, le public de Mannheim assistait à celle de l’Amour et l’Intrigue, et cette fois ce fut un beau et éclatant succès. Tous les spectateurs en masse applaudirent avec enthousiasme et se tournèrent vers la loge où était le poète pour le saluer. Mais à ces heures de triomphe succédèrent bientôt les heures de doute et de tristesse. Dans son ignorance des choses positives, Schiller s’était imaginé qu’un traitement de 500 florins était un trésor inépuisable. Il ne tarda pas à reconnaître qu’au milieu d’une grande ville, avec les relations étendues qu’il avait formées, cette somme pouvait à peine subvenir à ses besoins. Il se trouva de nouveau gêné, obligé de faire des dettes. Celle qu’il avait contractée à Stuttgart pour l’im-

  1. En 1789, Schiller apprit dans un salon la nouvelle de la prise de la Bastille. Tous ceux qui se trouvaient là écoutaient avec enthousiasme le récit de ce mémorable évènement. Schiller seul restait froid. « Les Français, dit-il, ne pourront jamais s’approprier les véritables opinions républicaines. » — Lorsqu’en 1792 on lui annonça que Louis XVI était mis en jugement, sa première pensée fut d’écrire en sa faveur, d’aller le défendre à Paris. Il en parlait sérieusement à son ami Kœrner ; les évènemens l’empêchèrent d’exécuter ce projet.