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pas lui faire une petite visite. Ainsi, à peine arrivés dans Toulon, on nous mène au bagne ; vous entrez avec un grand effroi ; mais bientôt, tout entier à un spectacle si nouveau, vous admirez ce vaste espace, cette mer emprisonnée et obéissante, ces travaux immenses, ces détails infinis. Ceci vu, nous avons enfin cherché les forçats. Hélas ! ces tristes costumes, ces tristes chaînes, ce bruit de fer, cet accouplement forcé, cette contrainte dans le travail, tout cela, il faut bien le dire, disparaît dans le bruit et dans le mouvement du port. On ne songe plus aux crimes ni à la peine ; on regarde, on se retourne, on étudie, on va d’un détail à un autre détail ; on visite ces vieux vaisseaux impotens, debout après tant de combats, et qui portent encore dans leurs flancs les boulets qui les ont blessés ; on veut voir, de la cale au dernier pont, le vaisseau en construction, machine innocente encore, bientôt achevée, et alors citadelle vivante qui va partir toute chargée de palmes et de gloire. On comprend à de pareils spectacles, à ces forces lentement créées sur un coin de la mer par des bandits accouplés l’un à l’autre, on comprend ce que c’est qu’un grand peuple ; et lorsqu’enfin on laisse tomber un regard de pitié sur les forçats du bagne, savez-vous pourquoi on les trouve à plaindre ? Ce n’est pas pour leur misère, pour les coups, pour les chaînes, pour la peine, pour le désespoir, c’est pour l’ignorance où ils sont. Ils ne savent pas ce qui se fait autour d’eux, ni pourquoi ce soudain redoublement de travail, ni d’où vient ce vaisseau qu’ils réparent, ni où va cette frégate qu’ils construisent ; ils ne savent rien, ils n’entendent rien ; ils sont retranchés du peuple, retranchés de ses joies et de ses douleurs.

Mais, ma foi pourquoi nous attendrir ? et qu’y faire ? À chacun sa peine, à chacun sa joie ! Songez donc, songez donc que l’Italie nous attend, que je vais la voir, qu’elle est tout proche, ma transparente et chantante vision.

L’Italie ! C’est qu’aussi sa tête est si belle, son geste est si charmant, son regard est si tendre, son œil si noir, sa robe est si peu attachée, elle vous montre son épaule brune avec tant de complaisance et d’orgueil ! Je vous fais grace du chemin et de l’impatience et des vallons et des montagnes, et du cirque de Fréjus caché dans l’herbe ; je suis bon pour vous, je vous mène à Nice en droite ligne ; mais, s’il vous plaît, après cette course haletante, reposez-vous quelque peu sur ces divines hauteurs.

Ciel ! que la nuit est belle ! Dans quelles splendides clartés s’enveloppe l’Italie ! Que l’air du soir est rempli de parfums et d’harmonie !