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bénédiction que j’acceptai bien pieusement. Eh quoi ! la bénédiction de l’enfant n’est-elle pas aussi bonne et aussi sainte que celle du vieillard ?

Et le soir de ce grand jour, j’étais de retour dans la capitale de mon royaume. J’allai voir, dans une belle, et grande salle tout éclairée à giorno, l’opéra nouveau du prince Poniatowski, Procida. Le prince Poniatowski vient d’avoir vingt-cinq ans ; Bellini n’a pas, que je sache, un meilleur disciple dans toute l’Europe. Il y a dans cet opéra de Procida de bouillans accès de colère et de désespoir ; mais aussi que d’amour, que de plaintes touchantes ! C’est Ronconi qui chante le rôle principal. Ronconi, figurez-vous Duprez à ses débuts de l’Opéra, mais Duprez avec sa voix quand elle était jeune et sonore, et non pas brisée par ces abominables efforts auxquels pas une poitrine humaine ne saurait résister bien long-temps. À la fin de l’opéra, le public enchanté a voulu revoir le jeune et noble maëstro ; le prince Poniatowski a reparu, et c’était plaisir de l’entendre applaudir si franchement par tant de belles Italiennes à l’œil ardent, aux épaules brillantes, dont la salle était remplie. Quelle fête, rien que de les voir, ces jeunes femmes d’un si noble sang ! quelle musique de les entendre vous parler avec les plus admirables câlineries de la terre ! Rien n’est à comparer, parmi nos plaisirs de chaque soir, à cette soirée italienne ; non, rien ne ressemble, dans nos froides et insipides assemblées, à cette franche bonne grace, à ces honnêtes sourires, à ce complet oubli de chaque femme pour sa beauté. Petit royaume, dites-vous, le duché de Lucques, petit royaume il est vrai, mais royaume intelligent, savant, amoureux des beaux-arts ; petit prince, sans doute, mais petit prince qui porte l’un des plus grands noms de l’Europe, un petit-fils de Louis XIV, un Bourbon d’Espagne, fils de roi à qui l’on peut dire comme Horace à Mécène : — Thyrrhena regum progenies, — descendant des rois d’Étrurie ; un jeune homme du plus noble cœur, de la plus exquise politesse, si affable que le dernier paysan de son royaume le peut accoster et lui dit : — Soverino, je paie deux sols d’impôt, est-ce juste ? — Et lui alors, il donne à son humble sujet de quoi payer son impôt pendant vingt ans. Ainsi il vit parmi ses livres, parmi ses sujets, aimé et respecté, bien qu’il soit peut-être le plus pauvre de ce pauvre royaume. À celui-là, parlez-lui de la France, il la sait par cœur ; parlez-lui des beaux-arts, il est versé dans tous les beaux-arts ; venu au monde avec toutes les passions des fils de rois, il a conservé ces nobles passions, il leur a obéi tant qu’il a pu ; puis, un beau jour, il a renoncé