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ville dans le Bosphore mais il lui a fallu, du temps pour trouver la place de cette vile, et cette place trouvée, il a fallu beaucoup de temps encore pour concevoir que, dans un certain état du monde, c’est là que doit en être la capitale. Ainsi des colonies grecques s’établissent en-deçà et au-delà de Byzance avant de s’établir à Byzance[1]. Ainsi, aux temps de l’empire romain, quand le monde fut réuni sous la même loi, Auguste et ses successeurs sentirent qu’il fallait à cet empire une autre capitale que Rome, qui pouvait bien servir de centre à l’Italie mais qui ne pouvait plus être le centre du monde romain, et leurs yeux se tournèrent naturellement vers le détroit qui unit la mer Noire et la Méditerranée. Auguste pensa à Troie : il y avait là des souvenirs et des traditions qui avaient surtout le mérite d’être des souvenirs de la famille des Jules ; mais il n’osa pas tenter cette grande transplantation de l’empire romain. Ce fut plus tard, ce fut aux temps de Dioclétien, que l’empire romain se mit en quête, pour ainsi dire, d’une capitale. On pensa à Antioche, on pensa à Nicomédie, qui a le mérite d’avoir un golfe sur la mer de Marmara, à l’issue du Bosphore ; on pensa même encore à Troie, qui est à l’entrée de l’Hellespont. Enfin Constantin désigna Byzance ; la destinée de cette ville fut accomplie, et Constantin eut la gloire d’avoir fondé, sur les ruines du vieil empire romain, un empire qui a duré encore onze cents ans et plus, et cela seulement parce que sa capitale avait été bien choisie.

L’histoire de la fondation d’Alexandrie n’est pas moins curieuse. Il fallait au commerce des Indes un entrepôt sur les côtes de la Méditerranée ; autrefois il avait, sur les côtes de la Syrie, Tyr et Sidon ; plus loin, dans l’isthme de Suez, aux embouchures du Nil, il y avait Peluse, Tanis et Naucratis, fondées par les Grecs. Mais Peluse, Tanis et Naucratis, situées l’une sur la bouche pelusiaque, l’autre sur la bouche tanitique, la dernière enfin à l’embranchement des bouches bolbitine et canopique, avaient à la fois les avantages et les inconvéniens du fleuve : elles pouvaient s’ensabler. Alexandre voulut fonder une ville digne de servir d’entrepôt et de capitale à ce monde formé de l’Orient et de l’Occident que ses victoires allaient créer, et il fonda Alexandrie, non à l’embouchure du Nil, mais tout près, et pouvant

  1. Tacit., Annal., lib. XII : « Arctissimo inter Europam Asiamque divortio, Byzantium in extremâ Europâ posuere Græci, quibus Pythium Apollinem consulentibus ubi conderent urbem, redditum oraculum est quærerent sedem Cæcorum terris adversam. Ea ambage Chalcedonii monstrabantur, quod priores illuc adverti, prævisâ locorum utilitate, pejora legissent. »