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imprenable château-fort que Venise au milieu des lagunes. En se réfugiant sur ces écueils, les Vénitiens n’avaient pensé qu’à leur sécurité. Bietôt ils comprirent l’avantage de leur position au fond du golfe de l’Adriatique. L’Adriatique est la route ouverte entre l’Allemagne et le Levant. Sur cette route, le commerce avait besoin d’un entrepôt ; Venise devint cet entrepôt nécessaire. Elle avait, pour le devenir, deux titres : le premier, sa position au fond du golfe à portée de l’Italie septentrionale et de l’Allemagne. Cette position, d’autres villes, il est vrai, pouvaient l’avoir : Trieste l’avait, et même Trieste était plus près de l’Allemagne ; mais ce qui manquait à Trieste, ce qui, au moyen-âge, manquait à toutes les villes de la terre-ferme, c’était la sûreté. Venise avait cette sûreté, si précieuse au commerce. Voilà la cause de sa puissance commerciale dans le moyen-âge. Tant qu’il n’y eut de sûreté que derrière d’imprenables abris, Venise garda sa puissance ; quand Venise, vieille et vaincue, ne put plus garder les clefs de l’Adriatique et s’assurer par la force le privilége d’en être le seul port ; quand l’Autriche, maîtresse de Trieste, fut un puissant empire à côté de Venise qui n’était plus qu’une république impuissante, alors Venise vit Trieste, sa rivale, prendre peu à peu l’ascendant, car cette rivale avait pour elle aussi l’avantage de la position, et, quant à la sûreté, elle l’avait désormais aussi bien et mieux que Venise. Ce qu’il faut à l’Adriatique, c’est un port qui, au fond du golfe, accueille son commerce ; peu importe, du reste, à cette mer, veuve du doge, que cette ville s’appelle Venise ou Trieste : le commerce va où le port a plus d’eau, où le débarquement est plus facile, où les transports sont moins coûteux, et il abandonne sans scrupule les palais de marbre de Venise pour les maisons bourgeoises de Trieste.

Ainsi donc, ces villes nécessaires et qui doivent tant aux lieux, perdent quelquefois aussi leur privilége, quand ce privilége, c’est-à-dire l’avantage de leur situation, peut se partager.

Voyons maintenant comment Corinthe, qui semble aussi, par sa position, une de ces villes que j’appelle nécessaires, ne l’était cependant que dans un certain état du monde, et pour un certain temps. Corinthe est située entre deux mers, et sa position ne paraît pas non plus pouvoir être détruite ou remplacée. Cependant je ne vois pas que Corinthe soit jamais appelée à redevenir une ville puissante et riche. L’isthme de Corinthe, en effet, ne sépare que deux parties d’une même mer, deux portions d’un même pays, et non, comme l’isthme de Suez ou comme l’isthme de Panama, deux mers et deux