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L'ACADÉMIE FRANÇAISE.

on voit, par une pente inévitable, cette autre question fort controversée et fort délicate : qu’est-ce que l’Académie française et quelle est sa destination ? Sur ce point, il y a eu de tous temps de profondes dissidences, même entre ses membres les plus éminens. L’abbé de Saint-Pierre et Fénelon au XVIIe siècle, et dans le XVIIIe des esprits qu’on n’accusera pas d’être chimériques, Voltaire et Chamfort, voulaient que l’Académie française entreprît collectivement de grands travaux ? Non-seulement son dictionnaire (personne ne le conteste) mais une grammaire, mais une rhétorique et des traductions. Je crois même que les anciens statuts de la compagnie lui imposent quelque tâche semblable. Cette opinion fut en partie réalisée après la suppression de l’Académie française dans l’organisation de la seconde classe de l’institut. D’autres membres, et il est évident par le résultat qu’ils étaient en majorité, ont été d’un avis contraire ; mais ils ont eu le tort grave, suivant moi, de ne pas oser exposer nettement leur opinion et de laisser ainsi leurs détracteurs la répandre et la défigurer à leur manière. On a répété, sur tous les tons, que l’Académie française était un corps institué pour ne rien faire.

Quant à moi, sans la moindre ironie ni la plus légère idée de blâme, j’accepte et approuve entièrement cette opinion.

Les seuls travaux que puisse entreprendre l’Académie française sont, outre son dictionnaire usuel, qui est hors de cause, des ouvrages de lexicographie savante et de grammaire, ou des travaux sur la philosophie du beau et du goût. Or, ces deux branches d’études sont cultivées, ou doivent l’être, par l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres et par l’Académie des Sciences morales. Ce qui distingue l’Académie française des autres classes de l’Institut, ce qui fait de cette compagnie une institution sans pareille dans le monde, c’est précisément de n’être pas consacrée au développement de telle ou telle science dépendante de la mémoire ou de la raison ; c’est, en un mot, de n’être en rien un corps dogmatisant, mais un prytanée ouvert aux facultés brillantes qui dérivent de l’imagination.

Oui, c’est une des gloires de la France d’avoir fait pour le génie et pour le goût ce que n’a fait aucun peuple ancien ni moderne, d’avoir réuni dans une même enceinte, où elles se recrutent elles-mêmes, toutes les renommées poétiques, tous les esprits créateurs ou éminemment sensibles aux créations du génie. C’est parce que cette institution répond à une idée vraiment juste et grande, que malgré toutes les railleries auxquelles elle a été en butte, malgré toutes les fautes même qu’une association pareille est exposée à commettre,