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SCHILLER.

commencé une autre avec Guillaume de Humboldt, qui était de même consacrée à l’examen des plus hautes questions de philosophie et d’esthétique. Ainsi soutenu par deux hommes éminens, éclairé par leurs conseils, animé par leurs encouragemens, il suivait avec une noble audace sa carrière, et se jetait sans cesse intrépidement dans de nouveaux travaux.

En 1795, il entreprit la publication d’un Almanach des Muses, qui obtint un grand succès. Il y mit quelques-unes de ses plus charmantes poésies lyriques, et Goethe plusieurs ballades. Ce fut dans ce même recueil que les deux poètes firent insérer aussi ces petits distiques si connus en Allemagne sous le nom de xenies. C’étaient autant d’épigrammes mordantes dirigées contre une foule de livres et d’écrivains. Elles mirent tout le monde littéraire en rumeur, et produisirent chez ceux qu’elles atteignaient une vive animosité. Le bon Schiller s’attendrit sur les blessures qu’il avait faites et se repentit d’avoir été si loin.

D’autres travaux plus importans vinrent bientôt distraire son esprit de cette guerre d’épigrammes. Il travaillait toujours à son Wallenstein. En 1798, il fit représenter la première partie de cette vaste trilogie, la plus belle, la plus imposante de ses œuvres. À cette magnifique composition, qui avait si long-temps occupé sa pensée et ses veilles, succéda immédiatement Marie Stuart, puis Jeanne d’Arc, qui fut jouée en 1801 sur le théâtre de Leipzig. Le poète assistait lui-même à cette représentation, et fut reconduit en triomphe chez lui aux cris mille fois répétés de vive Schiller ! vive le grand Schiller ! Deux ans après parut la Fiancée de Messine, puis, en 1804, Guillaume Tell. À voir la rapidité avec laquelle toutes ces grandes compositions se succédaient, on eût dit que Schiller pressentait sa fin prochaine et se hâtait de léguer au monde les plus beaux fruits de son génie.

Il se trouvait à Berlin lorsqu’on joua son Guillaume Tell. La reine Louise voulut le voir, et lui fit offrir une pension annuelle de trois mille thalers, une place à l’académie, et la jouissance d’une voiture de la cour, s’il voulait se fixer à Berlin ; mais il était retenu par les liens du cœur dans le duché de Weimar, et il y retourna. Depuis 1798, il avait quitté Iéna pour habiter Weimar. Il était là près de Goethe, qui exerçait une heureuse influence sur lui, près de Wieland, qui l’avait toujours traité avec une sincère affection, et près du théâtre.

Le grand-duc lui témoignait une considération toute particulière.