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REVUE. — CHRONIQUE.

la popularité. C’est la popularité maintenant qui va à lui. M. Saint-Marc Girardin ne flatte pas son auditoire ; au contraire, avec sa parole facile, alerte, détachée, il peut risquer toutes les vérités, se permettre tous les conseils, les conseils les plus difficiles à dire, les conseils qui touchent à l’amour-propre. C’est par le côté moral, par le côté pratique que M. Saint-Marc Girardin aime à aborder la littérature. Derrière l’homme de talent, derrière l’homme qui écrit, sa critique aime à chercher l’homme de la famille et l’homme de la société ; elle aime à montrer que le talent ne dispense pas du devoir. J’ai quelquefois entendu reprocher à M. Saint-Marc Girardin de méconnaître l’enthousiasme et la poésie ; mais on oublie à qui s’adressent les leçons de M. Saint-Marc. Il y aura toujours assez de poésie, il y aura toujours suffisamment d’enthousiasme dans cette jeunesse qui vient demander au haut enseignement quelque chose de plus sérieux sans doute que des complimens et des madrigaux. Le grand mal, quand M. Saint-Marc montrerait à ceux qui l’écoutent les réalités de la vie, quand il les dégoûterait un peu de cette manie d’écrire qui, au sortir du collège, détourne tant de jeunes intelligences de leur vraie voie. Qu’on ne s’effraie pas, ces conseils ne suffiront point à détourner les vocations véritables, et ils écarteront peut-être quelques-unes des aspirations banales, de ces vagues velléités poétiques qui sont la maladie de notre temps. Quel danger y a-t-il à cela ? Ceux qui trouvent quelque chose d’un peu outré dans les avertissemens de M. Saint-Marc, à l’endroit de la littérature, n’ont qu’à se rappeler son propre exemple. C’est un correctif suffisant. N’est-ce pas par les lettres, n’est-ce pas par son talent si franc et si vif, que M. Saint-Marc Girardin s’est fait sa place, une place légitime et brillante ? Il y a toujours assez d’illusion dans les jeunes ames, et je ne vois pas l’inconvénient qu’il y aurait quand cet enseignement si spirituel, si incisif, si fertile en mots heureux, si volontiers fidèle aux saines traditions littéraires, sauverait quelques pas de clerc aux débutans, et nous délivrerait en même temps de quelque gros volume de vers individuels, ou de quelque nouvelle sociale et humanitaire.

Cette année, M. Saint-Marc Girardin a pris un cadre commode, varié, flexible, très distingué à force d’être vulgaire et inattendu, cadre bien difficile, mais où son esprit preste et habile se joue, peut toucher à tous les sujets, et dans la variété des aperçus retrouve toujours l’unité du goût et du sens commun ; M. Saint-Marc Girardin commente l’Art Poétique de Boileau. C’est un centre où il revient toujours, mais qui mène à tout, et qui lui permet de rajeunir par une forme piquante des vérités bien vieilles sans doute, les simples et éternelles vérités de l’art et de la morale, enfin tout ce que nous oublions si facilement aujourd’hui.

Dans ses deux premières leçons, M. Saint-Marc a parlé fort spirituellement de la poésie, et il s’est demandé d’abord ce que c’était que la poésie, ce qui l’a conduit bientôt à se demander ce que c’était que le génie. Le sens du mot génie a bien changé, et M. Saint-Marc a fait la curieuse histoire de ce terme