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se pose incessamment la question fatale qui l’a rendu fou, ainsi l’Égypte reproduit ses sphynx sans se lasser jamais. Elle range à la file ses colosses, elle fait avec eux des allées immenses qui conduisent aux temples de ses dieux, aux palais des Pharaons, à Karnack.

La destinée est grande ! moi, Bohême, moi, l’enfant d’un peuple misérable et chassé de partout, je viens m’asseoir ici et rêver sur l’histoire du monde devant la maison des Pharaons. Quel spectacle pourtant ! que d’imposante grandeur dans ces massifs de pierre ! Devant ces immenses piliers se tiennent assises ou debout les caryatides colossales avec leur visage immobile empreint de la stupidité du fanatisme ; au dedans s’accroupissent ou se dressent dans la cour d’autres monstres semblables rangés en cercle ; légion monotone de trabans granitiques, esclaves éternels du royal édifice, qui, aujourd’hui encore, après des milliers d’années, soutiennent, sans froncer le sourcil, le roc sur leur nuque ployée. Derrière, quels vestibules s’ouvrent ! quels portiques immenses, quelles profondes galeries conduisent à la salle du festin dont une forêt de colonnes supporte le toit, et dont les murailles fourmillent de divinités singulières, de bizarres ustensiles propres aux sacrifices, de mystérieux ornemens !

— N’est-ce point là un conte vrai, un conte de pierre, un poème que vous touchez avec la main ? Douterez-vous encore de la réalité de la poésie !


Je m’attarde ici des heures entières, en contemplation devant une partie de ce livre de fables qui contient tant de choses vraies, devant cette muraille faite de granit et si curieusement enluminée du bas jusques en haut. Des images de toute espèce y serpentent, et çà et là montent et descendent, courent et tourbillonnent les hiéroglyphes qui voudraient bien parler, mais ne peuvent se faire entendre, semblables à ces sourds-muets qui gesticulent et se démènent en vain. Ces lignes serpentines sont comme ces petits lutins que l’archet éveille et qui dansent sur les cordes du violon. Que veulent-elles dire ? Parmi tant de signes confus, un perroquet bleu et vert fixe sur moi sa grotesque petite face d’homme, et me regarde d’un air piteux ; il parlerait si volontiers, ce digne antiquaire, et cependant il ne le peut. Un svelte lézard vert rôde çà et là sur la muraille, on dirait qu’il s’applique à déchiffrer les hiéroglyphes. Depuis trois jours, il appartient à l’institut français, et notre savant Denon l’affectionne. Cher petit, ne prends pas tant de peine : je vais, moi, t’expliquer cette énigme. Un peuple antique de pasteurs proscrit par les brahmes indiens