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d’un grand établissement, du jour où la délimitation définitive des territoires permettrait à Méhémet-Ali d’imprimer à sa belle création un caractère permanent et pacifique. Une glorieuse campagne venait de lui assurer la Syrie ; il dominait du Nil au Taurus, et l’empire était coupé en deux. L’Égypte parlait à tous les souvenirs comme à toutes les espérances, et la France dut embrasser avec ardeur la pensée de cultiver sur la terre des Pharaons, comme sur celle d’Homère, un germe indigène qui pourrait en écarter les ambitions étrangères. La commission de 1839 fut donc égyptienne ; elle pouvait d’autant moins se refuser à l’être, que dans son sein et pour la première fois se révélèrent les sérieuses inquiétudes que devaient causer à la France les projets déjà manifestes de l’Angleterre sur ces contrées, projets que les expéditions maritimes et les établissemens militaires de la Grande-Bretagne aux abords de l’Égypte et de l’Arabie ne trahissaient pas moins que les funestes conseils donnés par son ambassadeur au lit de mort du sultan Mahmoud.

Mais si la commission se montra favorable à l’Égypte et témoigna le vœu que les efforts de la France vinssent en aide aux prétentions du pacha pour lui assurer, sous la suzeraineté de la Porte ottomane, le gouvernement héréditaire de ses possessions, il faut bien reconnaître que dans la pensée de la majorité de ses membres, dans celle de l’unanimité moins un, comme l’a déclaré l’honorable M. Jouffroy[1], la question principale ne fut jamais à Alexandrie et qu’elle resta toujours à Constantinople. Abolir le traité d’Unkiar-Skelessi et substituer dans le protectorat de l’empire ottoman les cinq grandes cours au cabinet russe, former un concert européen sur la question turque pour la résoudre contre La Russie, et, à l’aide de ce même concert, résoudre ensuite la question égyptienne contre l’Angleterre ; chercher à Londres un point d’appui contre Saint-Pétersbourg en ce qui concerne Constantinople, puis attendre de Saint-Pétersbourg un concours chaleureux contre les prétentions conçues à Londres relativement à Alexandrie ; avoir besoin, pour la réalisation de ses vues, de deux assistances qu’on s’aliénait l’une et l’autre ; n’être avec personne et mettre tout le monde contre soi, telle était l’inévitable conséquence de ce concert européen si solennellement réclamé, et dont la France ne pouvait manquer de se trouver exclue, à moins de consentir, en y restant, à d’énormes sacrifices.

Dans l’accord si malheureusement invoqué par la commission est

  1. Séance du 1er décembre 1840.