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faire naître et à entretenir. Le ministère du 12 mai a pensé que le rejet par l’Angleterre des secondes propositions Brunow entraînait pour conséquence un rapprochement avec le gouvernement français, et il a constamment maintenu la demande de la Syrie et de l’Égypte héréditaires pour le vice-roi, en ne retirant de ses propositions primitives que la possession viagère de Candie ; le ministère du 1er  mars a cru que le fait même de sa formation, et l’éclatante déclaration politique qui l’avait précédée, allaient nous rendre les plus beaux jours de l’alliance anglaise ; il n’a pas douté que devant la cendre de Napoléon qu’elle venait de nous rendre, notre alliée ne s’empressât de faciliter, au prix de quelques concessions, la marche d’un cabinet qui faisait de l’union intime des deux pays la base et le résumé de ses croyances politiques.

Comment admettre d’ailleurs, s’écriait-on à cette époque, que l’Angleterre, menacée par la Russie jusqu’aux extrémités de son vaste empire, qui trouvait partout l’influence russe sur ses pas, en Perse et dans la Haute-Asie aussi bien que sur le Bosphore, que l’Angleterre, qui refusait avec son vieux Chatam de discuter contre tout homme ne voyant pas que le maintien de l’empire ottoman était la condition même de l’existence de l’empire britannique ; comment croire que cette puissance, foulant soudainement aux pieds et ses profondes antipathies, et ses amitiés récentes, et sa haine du despotisme, et sa foi constitutionnelle, se priverait, pour un intérêt du second ordre, du plus puissant moyen de résistance aux projets de Catherine ? comment supposer qu’elle ferait taire dans son cœur sa haine éternelle contre la Russie, devant sa haine d’un jour contre un pacha d’Égypte ?

Ainsi s’entretenaient des illusions désastreuses, et des lieus communs de journaux sur l’alliance des deux grandes nations libérales masquaient à tous les yeux le travail souterrain qui se faisait à Londres. La France ne comprenait pas qu’elle n’avait plus de concession à attendre depuis qu’elle avait cessé d’être nécessaire pour résoudre la question de Constantinople ; elle ne voyait pas se produire cette évolution nouvelle par laquelle la politique anglaise allait chercher la solution des graves questions que l’Orient porte en son sein dans le concert exclusif de deux grandes puissances.

Cependant les propositions anglaises, loin de se rapprocher des nôtres, s’en éloignaient de plus en plus ; à l’offre faite, sous le 12 mai, de donner le pachalick d’Acre en hérédité sans la place, avait succédé, sous le 1er  mars, l’offre illusoire de donner la place