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Page:Revue des Deux Mondes - 1841 - tome 25.djvu/17

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DOCUMENS INÉDITS SUR MARIE STUART.

Je jette un œil tranchant
De perte incomparable,
Et en soupirs cuisans
Passe mes meilleurs ans.

Ces rimes barbares ne peuvent se comparer aux charmans essais de Loyse Labé, la cordière lyonnaise ! Élisabeth et Marie vont droit à l’action, sans s’arrêter à la rêverie. La strophe suivante n’est pas d’une poésie plus élégante :

Fut-il untel malheur
De dure destinée,
Ny si triste douleur
De dame infortunée,
Qui mon cœur et mon œil
Vois en bière et cercueil ?

La prétention et l’effort contournent les neuf autres strophes. Une seule est passable, celle qui exprime nettement, non pas un sentiment, mais une sensation :

Si je suis en repos
Sommeillant sur ma couche,
J’oy qu’il me tient propos,
Je le sens qui me touche ;
En labeur, en recoy,
Toujours est près de moy.

Élisabeth et Marie Stuart ne sont point des ames poétiques. La poésie s’illumine et s’entoure de visions qui enivrent les maux terrestres ; elle s’endort dans le nonchaloir des affaires d’ici-bas, heureuse des fictions qui la bercent. La clé d’or qui lui ouvre, loin de ce globe et de ses intérêts orageux, un ciel d’illusions charmantes, suffit à sa richesse. Autres sont les poètes, autres les esprits actifs et ambitieux, que rien ne contente, si ce n’est le pouvoir, la domination et l’opulence. Il leur faut un but tangible et palpable. Ils vivent de mouvement positif et de passion réelle. Ils ne quittent point la terre ; ils s’y attachent, ils s’y enchaînent, et la satisfaction de leur égoïsme, sous forme de victoire ou de volupté, concentre leurs pensées. La vraie Marie Stuart, que nous verrons à l’œuvre, et non pas celle de la tradition, non cette victime faible et voluptueuse de la légende populaire, ni la victime sainte de Brantôme, ni la Messaline de Buchanan,