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POÈTES ET ROMANCIERS MODERNES DE LA FRANCE.

situation. Mais laissons parler là-dessus un témoin bien grave et hautement autorisé en toute matière, M. le duc de Broglie, qui, dans la Revue Française de janvier 1830, venant constater, à propos de l’Othello de M. de Vigny, la révolution sensible qui s’opérait dans le goût du public, écrivait : « Chacun peut se rappeler les murmures qui interrompirent, lors de la première représentation du Cid d’Andalousie cette scène charmante où le héros de la pièce, tranquillement assis aux pieds de sa bien-aimée, sans desseins, sans inquiétude, uniquement possédé de l’idée de son prochain bonheur, dans un profond oubli et du monde et des hommes, et de toutes choses, l’entretenait doucement des progrès de leur amour mutuel, et lui rappelait, en vers pleins de délicatesse et de grace, les premiers traits furtifs de leur muette intelligence. Ni le talent de Talma, ni celui de Mlle Mars, ne purent obtenir grace, en cette occasion, devant le rigorisme du parterre. Le parterre trouva qu’une telle scène était un hors-d’œuvre, qu’elle entravait la rapidité de l’action, en un mot, qu’elle violait ouvertement la règle : Semper ad eventum festina ; il fut inexorable. » Je viens moi-même de lire dans le manuscrit la scène du banc, ainsi on l’appelait par rapprochement avec la scène shakspearienne du balcon : comme douceur, naturel, harmonie de diction, je trouve qu’elle justifie tous les anciens éloges.

Les murmures qui l’avaient troublée à la première représentation se réveillèrent durant tout le cinquième acte ; le nom de l’auteur put être proclamé, mais cette première soirée restait grandement douteuse. La seconde parut tout réparer. Je trouve dans d’excellens articles du Globe[1], dus à la plume de M. Auguste Trognon, le bulletin fidèle de ces vicissitudes. La pièce avec quelques coupures était remise à flot ; elle semblait lancée, lorsqu’après la quatrième représentation une indisposition subite de Desmousseaux vint, comme à point, interrompre. Quand Desmousseaux fut remis, Talma partait en congé. Au retour de Talma, Michelot, qui trouvait son rôle odieux, refusa de le reprendre. Puis Talma mourut. D’attente en attente, l’auteur garda sa pièce, qui ne fut même pas imprimée, de sorte que le Cid d’Andalousie, dans la chronique littéraire et dramatique de notre temps, n’est plus qu’une vague rumeur et un nom. — L’année même du Cid, comme par un retour de pensée vers Marie Stuart, l’auteur allait en Écosse et y passait trois jours à Abbotsford, visitant avec Walter Scott tous les environs à l’avance connus. Par ce voyage

  1. 3, 5 et 8 mars 1825 ; on y revint trois fois à la charge, comme dans un combat.